LA SF DIT LE PRESENT

Ecole d'art

(1) La contreverse de Valladolid opposa, au milieu du XVI° siècle les défenseurs des indiens incarnés par Bartoloméo de Las Casas à ceux qui leur déniaient toute humanité, tel Luis de Sépulvéda ; elle fut magnifiquement mis en scène dans le téléfilm de 1982 signé Jean-Daniel Verhaegen avec 3 monstres sacrés de l'époque, Jean-Pierre Marielle, Jean-Louis Trintignant et Jean Carmet)

(2) Se reporter par exemple au Procès du singe de 1925, mis en scène en 1960 par Stanley Kramer avec Spencer Tracy et Frédric March.

(3) D'autant que nous découvrons cela par le truchement d'un artifice scénaristique : le narrateur (John Houston, en voix off) dont on va découvrir qu'il est également le Législateur ayant fondé cette société harmonieuse, en fait un récit quasi biblique.

(4) Au point de lancer un débat sur la possible Oscarisation d'un acteur de performance capture lors de la cérémonie de 2010

(5) Par exemple, si aucun singe vivant ne fut utilisé dans la trilogie (uniquement de la motion-capture et des images de synthèse) n'oublions pas, par exemple, que dans leur combat contre les humains les singes pouvaient monter des chevaux bien réels eux.

(6) Voir, dans Bestiaires cinématographiques (dossier de La Furia Umana, webmagazine dédié au cinéma) l'article de J.S. Stéyer et R. Lehoucq, "Construire un animal imaginaire au cinéma. Une analyse biologique et physique du bestiaire cinématographique" : VOIR

(7) D'ailleurs la distinction entre extraterrestre et animal est parfois bien difficile à établir !

(8) La différence (pas la supériorité entendons-nous bien) parait évidente mais n'est pas si simple à exposer. On retiendra la faculté de conceptualiser et de vivre dans des sociétés complexes... Ou alors à son aptitude au rire selon Rabelais !?

(9) L'antispécisme réfute la hiérarchisation des espèces et accorde aux individus de chaque espèce un statut moral ; c'est l'outil idéologique de la lutte contre toute forme de maltraitance ou exploitation animale. Le véganisme refuse toute exploitation animale et par là même toute consommation de produits d'origine animale

-Lorsque la SF aborde le thème de l'Autre elle traite, en fait, de l'homme lui-même : les spécificités de l'espèce humaine, les questions de communication et d'incommunication, les rapports au divin, etc. Les descriptions de l'Autre dressent, de fait, en négatif, un portrait de l'homme dans ses rapports à l'étranger. Bien avant la naissance proprement dite de la SF et son âge classique les récits mythologiques et littéraires avaient abordé le sujet : Prométhée le voleur de feu chez Esiode ou Eschyle ; Micromégas, le géant Sirien de Voltaire (1752) ; l'andreide (sic!) de L'Eve future de Villiers de L'Isle-Adam (1886) ; le Golem de l'écrivain Gustav Meyrink en (1915) ; etc.

Dans nos 4 premiers articles sur l'Autre dans la SF nous avons traité, successivement :

de l'extraterrestre, ce grand révélateur de nous même, de nos craintes, de nos peurs, de nos espoirs aussi. Au cinéma cela débute par les Sélénites de Georges Mélies (Le voyage dans la Lune, 1904), les premiers d'une longue série d'extraterrestres mythiques...
de l'homme lui-même, devenant plus qu'humain (Les plus qu'humains très beau roman de Théodore Sturgeon, 1953) : homme augmenté, post-humanisme, transhumanisme, mutants...
de la Machine qui place l'homme devant sa création et pose les questions de la relation au divin et de la définition et des limites de l'humanité ;
enfin du monstre et de la monstruosité, sorte de synthèse des 3 précédents articles car, soyons clair, l'extraterrestre, la machine, le cyborg, le mutant ou le posthumain ont bien souvent été dépeints sous l'angle de la monstruosité.

Pour compléter ce panorama de l'Autre en SF nous allons aborder le thème de l'animal, là encore pour interroger l'homme dans ses rapports à cet autre si proche !

Le CINEMA DE SCIENCE-FICTION et l'AUTRE (5° partie)

LEs animaux

« Les animaux n'ont pas, comme l'homme, l'orgueil de se croire le roi des animaux. »

Théodore Monod (biologiste, humaniste et explorateur : 1902-2000)

4 articles ont déjà été consacrés à la figure de l'Autre dans le cinéma de science-fiction : l'extraterrestre ; la machine ; le mutant/le surhomme ; le monstre. Abordons maintenant un thème, finalement banal, et dont je suis surpris et agacé qu'il ne me soit pas venu plus rapidement à l'esprit : l'animal.

Qu'il soit de compagnie, d'élevage ou sauvage l'animal entretient des relations étroites avec l'homme, et ce depuis l'aube de l'humanité. Ces relations sont avant tout de l'ordre de la domination/subordination (même lorsque l'on parle d'animal de compagnie) et de prédation/destruction (de la chasse à l'élevage en passant par l'élimination des « nuisibles »). Mais ce lien entre l'homme et l'animal est repensé actuellement, au prisme de la 6° extinction de masse, à venir (Wikipedia) ... jusqu'au point où certains courants d'opinion envisagent même une citoyenneté pour l'animal.

La science-fiction et son cinéma ont mis en scène des animaux et leurs relations à l'homme bien que cela n'ait jamais été un thème majeur de prospective. Nous débuterons par une étude de cas portant sur la saga La planête des singes (9 films sur tirés du roman éponyme de Pierre Boulle, entre 1963 à 2017). Nous verrons ensuite qu'en Sf, comme dans d'autres genres, particulièrement en littérature (merci Jean de La Fontaine !), l'animal est métaphorisé pour mieux parler, en fait, de l'homme lui-même. Enfin nous analyserons comment le cinéma de Sf traite de la frontière entre l'homme et l'animal et comment il intègre (ou non) les évolutions récentes de la pensée comme l'antispécisme ou le véganisme.

I- Etude de cas : la planète des singes

En 1963 Pierre Boulle (1912-1994) publie son roman, La planète des singes, dont le succès ne sera assuré que 5 ans plus tard quand Franklin Shaffner l'adaptera au cinéma, premier long-métrage d'une véritable franchise (films, jeux, séries, produits dérivés). Les 9 films se groupent en 3 ensembles :

l'orignal de 1968 aura 4 suites : Le Secret de la planète des singes de Ted Post en 1970 ; Les Évadés de la planète des singes de Don Taylor en 1971 ; La Conquête de la planète des singes de J. Lee Thomson en 1972 ; La bataille de la planète des singes de J. Lee Thomson en 1973 ;
Tim Burton réalisera un remake/variation de l'original, La Planète des singes en 2001 ;
enfin une série de 3 films renouvelle, sous la forme de préquels de l'original, la saga : La Planète des singes : Les Origines de Rupert Wyatt en 2011, La Planète des singes : L'Affrontement et La Planète des singes : Suprématie de Matt Reeves en 2014 et 2017.

Le roman de Pierre Boulle, sorte de conte satirique, et les films, qui introduisent aventure et tension dramatique, mettent au cœur de l'histoire les thèmes de l'altérité et de la frontière entre l'homme et l'animal. Nous n'aborderons pas, dans cet article, les thèmes du racisme (très sous-jacent dans le film de 1968), ni celui de la Guerre froide et de l'holocauste nucléaire (présents dans les films des années 60-70), ni celui de la science (important dans les films des années 2010) pour nous concentrer sur la dialectique homme / animal. Décryptage...

BIBLIOGRAPHIE - WEBOGRAPHIE

Lire : ouvrages et articles

ALLOUCHE, Sophie. L'animal transformé dans la science-fiction d'un point de vue philosophique. IHPST, 2013-2019 : VOIR.

AUBERGER, Janick. Entre l’écrit et l’image, l’animal de fiction, un homme travesti ? In Contre-jour, Cahiers littéraires, La littérature et l’animalité. Numéro 13, automne 2007 : VOIR.

BRUNEL, Camille. Le cinéma des animaux. Uvédidtions, 2018. Un compte-rendu de lecture sur Slate.fr : VOIR.

DELAGE, Pierre-Jérome. Cybrides, transgènes et lois bioéthiques. Dans Revue et Sf, 2017 : VOIR.

ECKEN, Claude. De l'animalité à l'humanité : les animaux dans la SF. Revue Alliage n°7, 1991 ; version remaniée en 1999. Sur Noosfere : VOIR.

ESTEBANEZ, Jean - PORCHER, Jocelyne - DOUINE, Julie. Travailler à faire semblant : les animaux au cinéma. Dans Écologie & politique 2017/1 (N° 54), pages 103 à 121 VOIR.

GORDON, Joan. Animal Studies : The Routledge Companion to Science Fiction. Janvier 2009. Accès réservé sur Routledgehandbooks.com : VOIR.

HILLARD, Anne-Sophie. Zoocène, technologique dans la science-fiction. Revue Recherches germaniques, 2020 : VOIR.

MILCENT-LAWSON, Sophie. Un tournant animal dans la fiction française contemporaine ? Revue Pratiques, 2019 : VOIR.

MOINE, Raphaëlle. Les créatures du docteur Moreau à l'écran : vertiges de la science et vertiges de la loi. Revue Tumulte n°5, 2005 : VOIR. https://www.cairn.info/revue-tumultes-2005-2-page-133.htm

PELUCHON, Corine. Réparons le monde. Extrait de la préface : "le point sur la transition écologique et sur ce qu’elle requiert sur le plan individuel et collectif, et qui soulignent aussi les liens et les tensions entre l’écologie et la cause animale." Ed; Rivages, 2020.

VINT, Sherryl. Animal Alterity: Science Fiction and the Question of the Animal. PU de Liverpool, 2010 : VOIR. Un compe-rendu de lecture (eng) ICI.

XU, Christine. Science or Science Fiction ? Uplifting Animals. Blog Yale Scientific (eng) : VOIR.

Sur le Web

Sur la WIKIPEDIA

Article Upltft (eng) : VOIR.
Article Ethologie : VOIR.
Article Spécisme : VOIR.
Article provolution : VOIR.

BRUNEL, Camille. Comment le cinéma regarde-t-il les animaux ? Entretien sur le site Pointculture.be : VOIR.

BRUNEL, Camille porte un regard antispéciste sur le cinéma sur son Blog : VOIR.

BRUNER, Margot. Bioéthique : les "chimères homme-singe", ce n’est plus de la science-fiction… In Marianne, mai 2021 : VOIR.

DUARTE, Damien. Les animaux au cinéma. Blog : VOIR.

GUILLOT, Agnès. Quand des animaux deviennent source d’inspiration pour des robots au service de l’homme. France Culture, Matieres à penser, Serge Tisseron, 13 janvier 2018 : VOIR.

LEUSSIER, Héloïse. Cette époque où on "cassait" les animaux pour les besoins d'un film. Sur Francetvinfo : VOIR.

LOVE, Shayla. Faut-il rendre les animaux aussi intelligents que les humains ? Sur Vice-Télé : VOIR.

LUCCHESE, Vincent. Les animaux seront-ils bientôt des citoyens comme les autres ? Sur Usbek&Rica : VOIR.

PACHERIE, Lucie. Chimères : une dédiabolisation utilitaire qui abîme l’humanité. Dans La Croix, mai 2021 : VOIR.

ROUX, Raphaelle. Les animaux au cinéma, que nous apprennent-ils ? Sur son blog : VOIR.

STEYER, Jean-Sébatien et LEHOUCQ, Roland. Des géants trop grands. Article du Monde repris dans la revue Pourlascience : VOIR.

TRIBOULET, Emmie. L'animal fait son cinéma. Sur un site d'aide aux classes préparatoire : VOIR.

En vrac

Sur Usebek&Rica :

À quoi ressemblent les animaux domestiques dans la science-fiction et la fantasy  ? VOIR.
À quoi ressembleraient des villes « plus qu’humaines »  ? VOIR.

L'encyclopédie de la Sf, article Uplift : VOIR.

Bestiaires cinématographiques. Un dossier de La Furia Umana, webmagazine dédié au cinéma : VOIR.

surtout :

SAN MARTIN, Caroline. Et si nous regardons de plus près les animaux du cinéma, qu’entendons-nous ?
STEYER, Jean-Sébastien et LEHOUQ, Roland. Construire un animal imaginaire au cinéma. Une analyse biologique et physique du bestiaire cinématographique.
FRAISSE, Emmanuel. La voix dans leurs yeux. Réflexions sur la présence, le jeu et le point de vue animal.

L'animal au cinéma. Sur le cinéclub de Caen : VOIR.

C'est un animal ? Un homme ? Non, c'est un anthropomorphe ! Sur le site PopFixion : VOIR.

Qu'est-ce que l'antispécisme ? Sur le site Pointculture.be : VOIR.

Colloque « Domestication / fabrication du vivant et science-fiction », avril 2015 : VOIR.

Cloner son chien ? Un rêve de science-fiction devenu réalité. Article du Point : VOIR.

Regarder - Ecouter

Prof Theodose. Animaux Anthropomorphes (Intervention lors du Paradigm Shift 2010 , le 16 janvier 2011, à l'espace Metanoya (Paris) : REGARDER.

Un entretien sur le rôle des animaux dans la littérature avec Nicolas Ducimetière, vice-directeur de la Fondation Bodmer. Diffusé dans l'émission "Chouette !" le 9 juillet 2017 : ECOUTER.

La 21° journée cinématographiques organisée par l'écran Saint-Denis sur le thème « La part animal » (mars 2021) VOIR. En particulier la Table ronde “Êtres humains/animaux, une cohabitation à réinventer” : REGARDER.

A propos des films mentionnés

La planète des singes

FARES, Elias. Une analyse sur DvdClassik du film de 1968 : VOIR.
HEURTEL, Philippe. La planète des singes. Article de 2002 dans l'Oeil du Sphynx : VOIR.
Sur la Wikipedia partir de l'article synthétique : VOIR.
L'Écran Fantastique N°HSn°1 (Juillet 2001), Tim Burton et la planète des singes.
FARES, Elias. Une analyse du film de Tim Burton sur Dvdclassik : VOIR.
Les critiques des 3 films des années 2010 sur Critikat : MACHERET, Mathieu : VOIR. // MOREL, Joshué : VOIR. // MITTERRAND, Adrien : VOIR.
STEVENS, Dana. La planète des singes: les origines, manifeste pour le droit des animaux. Sur Slate : VOIR.
Une analyse par l'activiste de la cause animale Loredana LOY : VOIR.
Une analyse par Paul RIGOUSTE sur le blog Lecinemaestpolitique : VOIR.

Avatar et sa faune

Pour la faune d'Avatar se reporter à des blogs de jeux ou de fans : ICI - ICI - ICI - ICI

Okja

BRUNEL, Camille. Une critique négative du film Okja sur un site végan : VOIR.
L'article de la Wikipedia : VOIR.
REGNIER, Isabelle. Une critique dans Le Monde : VOIR.

Love and Monsters

Un article sur le site du magazine Vogue : VOIR.

Manhunt

Le court-métrage : VOIR.

Men in black

Sur la Wikipedia : VOIR. // La série de films. VOIR.

Je suis une légende

A propos de Sam, sur un site dédié aux chiens : VOIR.

Rampage, hors de controle

BOYER, Floriane. Rampage : CRISPR-Cas9 crée des monstres mutants au cinéma. Sur le site Futurascience : VOIR.

La planète sauvage

Une critique sur un blog : VOIR.

A- 1968, les singes, miroir de l'humanité orguilleuse

Dans le film de Franklin Shaffner les hommes sont devenus des animaux que l'on traque, privés de droit par les singes élevés au rang d'espèce dominante. L'artifice scénaristique du début (Taylor – Charlton Heston -, blessé à la gorge, ne peut parler et ne peut compter que sur ses mains, son regard et des grognements) transforme le héro en une sorte d'objet d'étude, permettant ainsi au réalisateur de nous faire ressentir la condition d'animal de laboratoire. En fait l'argument principal du livre de Pierre Boulle est repris, à sa manière, par le réalisateur : la société des singes reproduit, comme un miroir, les travers de la société humaine. Prenons 2 exemples ;

les rapports de domination : en effet ségrégationnisme et impérialisme fondent le monde des singes. Les inégalités sociales sont également raciales : chimpanzés soumis, ourang-outangs savants mais méprisés, et gorilles au sommet de l'échelle sociale ;
dogmatisme et pensée unique : la société des singes est soumise à une véritable dictature de la « vraie foi ». Ainsi des saintes écritures, les rouleaux sacrés de Zaius, contiennent la « vérité » à propos des singes et des hommes et ne peuvent absolument pas être remis en cause ;

Un moment fort du film est le procès intenté à Taylor. Il renvoie, bien sûr, aux débats du XVI° siècle sur l'humanité des Indiens d'Amérique⁽¹⁾. Il fait également écho aux débats sur la théorie de Darwin, en but aux dogmes religieux⁽²⁾.

B- Les suites (1970-1973), la quête de l'explication

Les 4 suites (de qualité et d'inventivité très inégales) déclinent le thème initial en cherchant à l'approfondir et à lui donner des explications. On peut les grouper en 3 ensembles :

Le secret de la planète des singes décline l'idée originale : la société des singes est le miroir de la société humaine et ses travers, à savoir la violence (la guerre du Vietnam s'invite, en filigranne, dans le récit), la menace nucléaire (reprise du film original qui en faisait la cause de la disparition de l'humanité) ou encore l'intolérance et le dogmatisme (le général gorille Ursus – James Grégory - affirmant, l'instar de ce que le général Shéridan aurait dit à propos des Indiens d'Amérique, « qu'un bon humain est un humain mort ») ;

Les évadés de la planète des singes et La conquète de la planète des singes inversent la situation. Ils reviennent aux origines : les singes, longtemps dominés et réduits en esclavage, se révoltent contre les oppresseurs humains et établissent leur suprématie. La métaphore du miroir cède la place à la dénonciation de la société humaine. En effet, privés d'animaux domestiques par un virus mystérieux, les humains vont assujétir les singes... sur qui, ce même virus aura un effet d'uplifting (élévation de l'intelligence). Cette société humaine est dépeinte comme un état-policier si oppressif qu'il justifie la révolte. Nous sommes bien au cœur des années 70 et de ses courants révolutionnaires et libertaires !

La bataille de la planète des singes, malgré son titre, développe un nouveau paradigme de la relation hommes / singes, celui de la société mixte et harmonieuse. César (Roddy McDowall) semble avoir réussi à construire une société où hommes et singes vivent côte à côte, sur un pied d'égalité⁽³⁾. Ainsi la scène finale a pour décor un Eden dans lequel les enfants-auditeurs sont des hommes et singes mélés dans la même écoute attentive du récitant. Dès lors se pose une contradiction scénaristique : comment boucler la fin optimiste de ce 5° film avec la situation pessimiste décrite dans le 1er film dont l'histoire est censée être largement postérieure ? La réponse des scénaristes fut d'introduire le doute et l'ambiguité en faisant figurer dans cette ultime scène une statue de César en pleurs : larmes de joie devant le prodige de cette harmonie hommes / singes ou bien larmes de désespoir sur ce qui va advenir ?

Les juges lors du procès contre Taylor... explicite non ?

C- Le renouveau des années 2010

Le film de Tim Burton de 2001, remake de l'original, achève de dépouiller le livre de Pierre Boulle de toute considération philosophique. Les singes ont pris le pouvoir après un accident et non par une révolution/évolution. La société simiesque est de type barbare et l'écart avec les humains est minime : tout le monde parle un anglais parfait ! Le retournement final s'apparente plus à un twist scénaristique qu'à une véritable réflexion politique. Blokbuster estival marqué par la patte Burton ce film n'ajoute pas réellement à la réflexion sur les rapports des hommes à l'animalité.

Par contre le rebbot initié par Ruppert Wyatt et poursuivi par Matt Reeves, en reprenant l'argument des différentes suites du film de 1968, renouvelle la thématique des rapports homme / animal. Dans ce cycle, les singes, guidés par César (Andy Serkis) se libèrent de la domination d'une société humaine maltraitante condamnée à la disparition par un virus (qui remplace l'holocauste nucléaire de 1968) qui, dans le même temps, décuple les facultés cognitives des singes. A regarder les 3 films on pourrait y voir une sorte de manifeste en faveur de la condition animale... et on aurait à la fois raison et tort.

On aurait raison :

La révolte des singes s'apparente à un processus révolutionnaire que n'aurait par renier Marx : un sous-prolétariat exploité qui s'éveille à la conscience militante (métaphorisé par le « Non ! » rageur de César) et qui passe à l'action.
La société des singes qui se met progressivement en place est complexe, traversée de tensions et contradictions, mais elle ne calque pas réellement la société humaine comme les autres films l'avaient fait (fonction miroir). En effet l'aspiration des singes menés par César est plutôt une sorte de retour à la nature, à leur nature animale peut-être (?).
Le personnage de César est central dans les films. Le jeu d'Andy Serkis en fait un héros torturé et extrèmement attachant⁽⁴⁾.

On aurait tort :

La maltraitance animale mise en scène dans Les origines est le fait d'individus (le président de la société où travaille Will – James Franco - ou des gardiens du laboratoire) ; elle n'est pas systémique (comme elle l'était dans La conquête de la planête des singes). De même les « méchants » humains, en particulier le colonel McCullough (Woody Harrelson) du 3° volet, sont caricaturés, excluant ainsi toute responsabilité collective.
La révolte des singes, au début du moins, est plus une mutinerie de prison que véritablement une révolution.
Dans le 2nd volet le film rejoue le mythe de la Frontière. En effet, si la colonie humaine (les colons blancs du Far West) cherche à aider les singes primitifs (les indiens) en apportant des médicaments, elle introduit également les armes et la violence. Mais, comme dans Avatar (James Cameron, 2009) la morale écologiste est sauve car la communauté 'sauvage' triomphera.
Les singes ont aussi leur coté sombre et dominateur, en particulier au travers du personnage de Koba (Toby Kebbell) dans les 2 premiers volets.

Certains ont vu dans ces films un manifeste antispéciste. C'est peut-être aller un peu loin⁽⁵⁾ mais on peut supposer qu'il a servi la cause animal : ainsi, peu après le sortie du 1er volet, le député américain Roscoe Bartlett s'est fendu d'un article dans le New York Times appelant à cesser d'utiliser des chimpanzés comme cobaye de laboratoire.

Conclusion

Du conte satirique et philosophique de Pierre Boulle aux réflexions sur la condition animale des films récents, La Planète des singes met donc en scène la relation humanité / animalité en passant, entre autre, par la métaphore. Voyons maintenant comment le cinéma de Sf a construit un imaginaire animalier alliant exotisme et familiarité...

II-L'imaginaire animal dans le cinéma de science-ficition

Et si Jean De Lafontaine avait écrit de la Sf ? Une cyberfourmi aurait-elle fait la leçon a une cigale augmentée ? Le corbeau bionique aurait-il laché son butin du fait des flatterie d'un renard anthropomorphe ? En tout cas notre conteur peut dormir sur ses 2 oreilles : comme elle l'était sous sa plume, la métaphore animale est utilisée en Sf et dans son cinéma comme miroir de l'âme humaine... Mais le conteur s'en servait également comme outil de critique sociale et politique ("Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir", dans "Les Animaux malades de la peste") alors que le cinéma de Sf préfère, et de loin, l'extraterrestre ou le "plus-qu'humain".

Analyse d'une place réelle mais réduite, de l'animal-miroir en Sf...

A) La représentation de l'animal dans la cinéma de Sf

L'animal est doublement présent en Sf : d'abord sous les formes classiques que sont l'animal de compagnie ou la faune sauvage, mais aussi sous des formes purement fictionnelles.

1) L'animal familier

En pleins comme en creux, l'animal occupe une place réduite dans les visions du futur véhiculées par les films de Sf. Prenons l'animal-nourriture : quand nous voyons les personnages manger dans les films de Sf le steak, le poulet roti et autres filets de poisson ont disparu au profit de tablettes nutritives, pillules protéinées et autres plat indéfinissables (se reporter à l'article manger sur ce site). Quant à l'animal de compagnie, celui-ci existe toujours et occupe la même fonction que dans les autres genres cinématographiques : contribuer à l'humanité du héros. Citons 3 cas bien connus : Sam, le berger allemand femelle de Robert Neville (Will Smith) dans Je suis une légende (Francis Lawrence, 2007), Einstein, le chien du Docteur Emmett Brown (Christopher Lloyd) dans Retour vers le futur de Robert Zemeckis en 1985) ou le chat d'Helen Ripley (Sigourney Weaver) dans Alien (Ridley Scott, 1979).

Enfin les mondes post-apocalyptiques, thème fétiche de la Sf, sont soit quasiment vides de vie animale soit empli d'animaux hostiles revenus à l'état sauvage (nous en reparlerons).

2- Le bestiaire fictionnel

Pour imaginer un animal de science-fiction les cinéastes utilisent plusieurs méthodes :

la traditionnelle chimére puisée dans les mythologie antique (Minotaure, cheval ailé, griffons, etc). Le plus souvent ils partent d'un animal connu et lui greffe des éléments en plus à l'image du bestiaire d'Avatar (James Cameron, 2009) ou de celui de John Carter (Andrew Stanton, 2012) :

III- De la frontière entre l'homme et l'animal

L'éthologie (« étude scientifique du comportement des espèces animales, y compris l'humain, dans leur milieu naturel ou dans un environnement expérimental, par des méthodes scientifiques d'observation et de quantification des comportements animaux » : source Wikipedia) et plus généralement les Animal Studies (en français, Etudes Animales) problématisent la relation homme / animal, et, plus particulièrement, interrogent la frontière qui les sépare. Trouve-t-on un écho à ces recherches dans la Sf et son cinéma ? Enquête...

A- L'animal ennemi

Dès le début du cinéma l'animal est surtout représenté comme la bête sauvage hostile, par nature, à l'homme. Dans son âge d'or la Sf regorge de ces animaux dangereux voire monstrueux (Bug-Eyed Monster). Elle reproduit à l'échelle galactique ce qui s'est passé sur terre : l'homme, espèce supérieure, doit dominer le vivant. La Terre est menacée par des animaux monstrueux et l'espace intersidéral est dangereux, peuplé d'extraterrestres hostiles : griffes, crocs, tentacules, etc. (se reporter plus haut à la partie sur le bestiaire fictionnel).

Cette perception est assez peu retenu actuellement... quoiqu'elle n'ait pas disparu : en 2021 dans Love And Monsters (Michael Matthews , Netflix) des particules toxiques ont transformé certains animaux en monstres.

L'apocalypse, nous l'avons déjà vu, donne souvent naissance à une Terre rendue à la vie sauvage : dans Je Suis une Légende (Francis Lawrence, 2007) et After Earth (W. Night Shyamalan, 2013) Will Smith se retrouve sur une Terre vide d'humains et reconquise par les animaux. Ce qui est intéressant c'est que dans le 1er film les hommes vont réoccuper cette Terre, alors que dans le 2nd l'homme semble chassé définitivement (les baleines saluent, à leur façon, le départ du vaisseau spatial)... On peut y voir, peut-être, la progression des idées animalistes et antispécistes ?

La Sf croise allègrement l'animal-ennemi et le robot en créant des animaux-robots comme les robots-dinosauriens des Transformers (L'âge de l'extinction et The last knight, Michael Bay, 2014 et 2017) ou de certaines suites de Godzilla (Gozilla vs MechaGodzilla de Takao Pkawara, 1993).

Sam

Jones

Einstein

B- L'animal 'amélioré' peut-il supplanter l'homme ?

Dans les 8 contes de Demain les chiens (Clifford D. Simak, 1952) la fin de l’Anthropocène est raconté par des chiens 'augmentés' et doués de parole qui ont hérité de la planète et perçoivent les humains comme des divinités oubliées. Avant Pierre Boulle l'auteur avait donc imaginé que l'animal puisse supplanter l'homme une idée largement traité en Sf... un peu moins au cinéma. Le concept clé de cette hypothèse est l'éveil à l'intelligence d'une espèce animale⁽⁸⁾.

1- Uplifting

L'amélioration de l'animal (uplifting) est un thème classique de la Sf depuis Wells et son Ile du docteur Moreau de 1896. Dans les versionns cinématographiques de l'oeuvre (Erle C. Kenton en 1933, Don Taylor en 1976 et John Frankenheimer en 1996) le docteur Moreau (successivement Charles Laughton, Burt Lancaster et Marlon Brando) échoue à éradiquer la part animale de ses créatures dont il ne cherche qu'à conserver leur humanité. La violence des hommes-animaux fonctionne comme un écho à la violence des hommes (surtout dans la version de 1996).

Cette approche de l'amélioration animale est très anthropocentrée : elle suppose que l'homme est un modèle à imiter, voire dépasser. Au cinéma elle repose sur 3 caratères :

l'apparence anthropomorphe des animaux 'augmentés' ;
cet anthropomorphisme est également spirituel, affectif et intellectuel ;
il passe le plus souvent par le marqueur-clef de la parole :

L'uplifting est un thème cher à certains bioéthiciens transhumanistes comme David Dvorsky dont la pensée est relayée en littérature de Sf par des auteurs dont le plus célèbre est David Brin (Le cycle de l'Elévation, entre 1980 et 1998). Elévation (uplifting) et transhumanisme vont de paire car si l'homme va lui même se modfifier et s'améliorer, il se doit de faire profiter l'animal de ces améliorations pour biser le 'plafond de verre de l'intelligence'. Mais actuellement les recherches sur l'uplifting animal et la création de chimères (hybridation homme-animal) sont extrèmement embryonnaires.

Alors que la Sf littéraire s'est emparée assez largement de ce thème, le cinéma reste très en retrait : outre Chewbacca et Rocket Racoon, déjà évoqués, on trouve le chien télépathe, compagnon et mentor de Don Johnson dans Apocalypse 2024 (L. Q. Jones, 1975). Par contre un cas particulier d'hybridation a du succès, celui du super-héros (ou du super-vilain) qui fusionnent avec un animal dont le plus célèbres reste Peter Parker / Spiderman... Parfois l'animal fusionne avec l'homme comme dans le cas des Tortues Ninjas (Manga et film, de Steve Baron en 1990 puis de Jonathan Liebesman en 2014 et enfin de Dave Green en 2016).

2- Le remplacement

Thème clef du cycle de La planète des singes, ce remplacement de l'homme par l'animal a fait l'objet de quelques films d'invasion des années 50-80 comme dans Phase IV (Saul Bass, 1974) dans lequel des fourmis devenues intelligentes veulent dominer le monde (le film gagna le Prix spécial du jury au Festival international du film fantastique d'Avoriaz en 1975).

En 1973 René Lalloux adapte librement le roman de Stephan Wul, Oms en série, sous le titre La planête sauvage : les hommes, soumis et devenus les animaux familiers des Draags, se révoltent.

Enfin évoquons le cas Matrix (Lana et Lily Wachowski, 1999) qui, mine de rien, inverse la situation et ramène l'homme à l'état animal puisque, dans ce qui pourrait s'apparenter à une gigantesque ruche, les hommes sont « élevés » par les Machines comme simples piles à combustible.

La statue de César en pleurs

Le loup-vipère (Nantang) d'Avatar a 3 paires de pattes et, mieux encore, les montures des Tharks (John, Carter) ont 4 paires de pattes !

le gigantisme a été abondament employé dès les années 50 (Monster movies) avec l'atome (accident ou expérience) comme vecteur. Les animaux ainsi gigantisés sont ceux qui, par atavisme humain, sont parmi les plus effrayants ou inquiétants : des fourmis dans Them! (Gordon Douglas, 1954), des crabes dans L'attaque des crabes géants (Roger Corman, 1957) ou encore des araignées dans Tarentula (Jack Arnold, 1955) ;

L'attaque des crabes géants et Tarentula : le gigantisme à peu de frais !

l'hypermorphose (en zoologie, développement exagéré de certains organes, par exemple les bois des cerfs - source).

Bien souvent c'est un mélange des 3 manières qui a donné les plus célèbres animaux-monstres de la science-fiction comme Godzilla (et plus globalement les Kaijus japonais) ou les Indominus et autres Indoraptor de Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015).

Chimère, gigantisme et hypermorphose, les animaux de ces films de Sf ont été créés à partir de postulats scientifiques (biologie et physique surtout) extrèmement légers⁽⁶⁾. Mais, parfois la science est présente, même dans des cas innattendus. Ainsi l'existence de King Kong (créé en 1933 par Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, puis repris et revisité une dizaine de fois, jusqu'au Godzilla vs Kong de Adam Wingard en 2021) repose sur un postulat scientifique appelé « évolution endémique » et sa variante « évolution insulaire » dont il pousse le résultat jusqu'à un point très improbable malgré tout ! De même l'abondance de la ressource alimentaire, fait scientifique permettant à une espèce de prospérer, est le postulat expliquant les vers géants d'Arrakis (Dune de David Lynch en 1984 puis Denis Villeneuve en 2021) d’après le roman de Frank Herbert publié en 1965).

Indominus Rex - Godzilla - King Kong

B- Allégorie et métaphore

Animal du futur, animal extraterrestre, sous ces 2 formes l'animal sert parfois à parler de l'homme lui-même. Comment ?

1- L'animal anthropomorphisé

Nous l'avons dit, l'animal est beaucoup moins présent dans les films de Sf qui leur préfère les extraterrestres⁽⁷⁾. Une figure est, malgré tout, souvent convoquée, c'est celle de l'extraterrestre prenant l'apparence d'un animal anthropomorphisé qui pense et agit comme un humain, en reprenant plus ou moins les codes du dessin animé 'pour enfant', royaume de l'animal anthropomorphe. Il est souvent mis en scène dans le rôle du bon pote dont l'archétype est Chewbacca (Peter Mayhew puis Joonas Suatamo) dans la saga de La guerre des étoiles ou encore Rocket Raccoon (voix Bradley Cooper), le raton-laveur des Gardiens de la Galaxie (James Gunn, 2014 et 2017). Il a très souvent une fonction comique comme dans les Men in Black (Barry Sonnenfeld pour les 3 premiers, entre 1997 et 2012 puis F. Gary Gray en 2017) et son bestiaire incroyable d'où émergent les vers adeptes de la fumette et de l'alcool et Frank, lui aussi agent, mais canin, des MiB...

2- L'animal-métaphore

Comme chez La Fontaine l'animal en Sf peut être le miroir de l'âme humaine et de ses travers en révélant ou en subissant nos instincts et nos comportements. Répétons-le ce sont plutôt les extraterrestres, monstres et mutants qui jouent ce rôle, mais on peut trouver quelques cas avec les animaux. Ainsi sur Pandora (Avatar, film de James Cameron, 2009), outre les Navii's c'est la faune locale qui fait obstacle à l'exploitation avide des ressources de la planète. C'est elle qui, dans un épilogue très « hypothèse Gaia » chassera les exploiteurs. Dans Avatar, au même titre que les autochtones, la faune permet de parler de domination impérialiste et coloniale.

Le genre 'Post Apo'en Sf utilise largement l'animal comme métaphore de la folie humaine, ou du moins de sa déchéance. C'est par le biais du retour non pas à, mais de la nature. L'humanité, décimée par un virus (L'armée des 12 singes de Terry Gilliam en 1996 ; Je suis une légende de Francis Lawrence en 2007), par le réchauffement climatique (Waterworld de Kevin Reynolds en 1995) ou par toutes autres causes plus ou moins mystérieuses (Annihilation d'Alex Garland en 2018 ; les Mad Max de Georges Miller entre 1979 et 2015) voit les retour des animaux qui occupent les espaces précédemment humains telles les villes. Ainsi à la fin du film L'Armée des 12 singes on voit des éléphants, des girafes, des singes et des flamants roses en pleine ville (voir l'image ci-dessous)...

Conclusion générale

Le cinéma de Sf n'a pas fait de l'animal sont 'Autre' préféré ; il a préféré aborder l'altérité au travers de 4 des plus célèbres thèmes du genre (l'extraterrestre, le posthumain, la machine et le monstre)? Mais, en creux comme en pleins, quand l'animal devient cet Autre, dans les films de Sf, c'est aussi :

pour parler beaucoup de nous-mêmes, de nos angoisses et de nos peurs, selon les périodes dans lesquelles les histoires racontées s'ancrent ;
pour parler de différences et d'acceptation ou non de celles-ci ;
pour parler de nos rapports à l'étranger : le migrant, le différent, l'inquiétant ;
pour parler d'humanité : frontières, limites, évolutions ;
pour parler de concurrence voire de survie ;

Malgré tout il ne faut pas oublier qu'un film de Sf c'est, aussi et surtout, un spectacle et, par conséquent il mettra en scène les animaux pour suciter des émotions fortes par la griffe et la dent d'animaux monstrueux, par la fourrure et les 'yeux mangas' d'animaux exotiques ou encore par la douceur et la fidélité des animaux de compagnie !

C- Une nouvelle place pour l'animal ?

Jusqu'ici analysés comme figures de spectacle ou comme matières à métaphore les animaux sont, depuis quelques années, étudiés différemment, hors du carcan de l'anthropomorphisme et une idée fait son chemin : les animaux devraient avoir une autre place sur Terre, jusqu'à, pour certains, imaginer une citoyenneté animale... Le cinéma de Sf n'a guère traité cette question directement, préférant, rappellons-le aborder les questions sociétales et philosophiques au travers des extraterrestres, monstres, robots et autres mutants. Si l'on prend la question de la maltraitance animale les films de Sf n'ont guère à se préoccuper de l'évolution des mentalités (incarnée par exemple, par le fameux « No animals were harmed in this movie ») puisque la Sf est le royaume du simulacre : marionnettes et trucages puis stop-motion et maintenant les CGI.

Il est des films de Sf qui adoptent un partie pris vegan assumé comme Noé de Darren Arronofsky (2014) dans lequel, au delà du sauvetage des animaux, il y a un discours sous-jacent anti-viande. Dans un autre ordre d'idée, mais toujours sur le véganisme, voici comment une auteur antispéciste analyse le film de Colin Trevorrow, Jurrasik World (2015) :

[...] le film de Trevorrow se construit sur l’opposition de ceux qui considèrent les animaux comme des pompes à fric, modifiables à merci (responsables commerciaux du parc, qui parlent des dinosaures en disant « it ») et ceux qui les considèrent comme des individus (en particulier le dresseur de vélociraptors Owen Grady, partisan du « she ») […] Les dinosaures synthétiques de Jurassic World symbolisent par là les animaux de cinéma en général, qui ne sont, de toutes façons, jamais tout à fait ceux que l’on aurait croisés dans la nature. Leur artificialité, mise en abyme par le film (ces dinosaures, recréés par la science, le sont aussi par le cinéma), confère à leur représentation une honnêteté particulière. Les vélociraptors ne parlent pas, en effet, du rapport de l’homme au dinosaure, cela n’aurait aucun sens : ils annoncent un nouveau rapport de l’humain à l’animal dans l’absolu {…] Entre les mains de Trevorrow, le dinosaure devient la métaphore d’un règne animal en voie d’extinction, car mal regardé, mal traité [...] La technologie se charge ainsi de sens : les quatre vélociraptors du film, qui pour la première fois de la saga portaient tous des prénoms les distinguant les uns des autres, furent incarnés par des danseurs et des gymnastes en costumes de motion capture. Derrière l’animal de Jurassic World il n’y avait plus des robots, mais des humains. Il n’était pas question de les assimiler à l’Homme : simplement de les émanciper de leurs conditions de machines. [...]

Source : BRUNEL, Camille. Comment le cinéma regarde-t-il les animaux ? Entretien sur le site Pointculture.be.

Cette analyse révèle l'apparition d'une grille de lecture nouvelle : antispéciste ou véganiste. Ainsi La lutte contre la maltraitance animale (cf les actions de L214 ou la déclaration universelle des droits de l’animal, proclamée par l’UNESCO en 1978) et pour une nouvelle place de celui-ci dans la socicété humaine est le sujet d'un court-métrage, Manhunt (Phua Cardin, 2014) qui offre un retournement radical de la situation. Le réalisateur coréen Bong Joon-Ho a réalisé en 2017 Okja qui pose la question des abattoirs et de la consommation de la viande dans les sociétés industrielles... tout en mettant en scéne des militants de la cause animale pas très sympas !

Le plus souvent la représentation de l'animal puise au plus profond de l'atavisme humain : ainsi un Ewok pelucheux renforcera notre sympathie pour le combat de Luke contre les Stromtroopers sur la lune d'Endor (Le retour du Jedi, Richard Marquand, 1983). Des superhéro et quelques supervilains s'inspirent d'animaux comme Catwoman (dans 5 films dont celui de Pitof en 2004 avec Halle Berry) qui perpétue la tradition des personnages félins ou encore le Pingouin (Dany DeVito dans Batman le défi de Tim Burton en 1992) dont l'apparence renforce l'image ridicule et inquiétante du personnage.

Rocket

L'agent K et les vers

Franck

Chewbacca et Han Solo

Un film d'animation, Zootopie (Byron Howard et Rich Moore, 2016) a poussé très loin cette logique : non seulement les habitants de cette ville sont des animaux anthropomorphes, mais ils vivent, travaillent, ressentent et affrontent des problèmes totalement humains : ainsi l'héroine, Judy Hopps est une lapine de 24 ans qui profite d'un programme de discrimination positive pour entrer dans la police et doit affronter toute sorte de disciriminations !

Conclusion

Si le cinéma de Sf ne peut se comparer aux fables et autres dessins animés emplis d'animaux anthropomorphisés pour filer la métaphore et construire des allégories, il est un domaine où sa puissance évocatrice et philosophique excelle, c'est dans la réflexion sur la/les frontière(s) entre l'homme et l'animal.

Le Pingouin - Dany DeVito

Catwoman - Halle Berry

Les Ewoks

Manhunt, Phua Cardin, 2014.