(1) Nous analyserons quelques aspects scientifiques du film ; nous laisserons de coté la station Cooper ainsi que la question de l'origine des « êtres du bulk », hommes de l'avenir ou extraterrestres ?

(2) Selon la Wikipedia (extraits) «  Un trou de ver est, en astrophysique, un objet hypothétique qui relierait deux feuillets distincts ou deux régions distinctes de l'espace-temps […] il formerait un raccourci à travers l'espace-temps […] L'utilisation d'un trou de ver permettrait théoriquement […] le voyage d'un point de l'espace-temps à un autre (déplacement à travers l'espace et, simultanément, à travers le temps). »

 

(3) Toujours selon la Wikipedia un tour noir est « un objet céleste si compact que l'intensité de son champ gravitationnel empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. »

(4) Illustré par le célèbre paradoxe des jumeaux : si l'un des frères fait un aller-retour dans l'espace à la vitesse de la lumière, il reviendra plus jeune que son jumeau resté sur terre.

(5) La paternité de ce paradowe semble appartenir à René Barjavel dans Le Voyageur imprudent, en 1944.

(6) Actuellement la prévision du futur se niche dans la science de la prospective, les mathématiques des probabilités ou les prévisions météorologiques.

(7) Nous avons déjà traités ce thème dans l'article précédent consacré aux monstres dans le cinéma de Sf .

(8) Cette comparaison doit beaucoup au travail de Gilles Menegaldo,

L’Inscription de l’Histoire et la vision du futur dans The Time Machine de H. G. Wells et son adaptation filmique par George Pal (voir la bibliographie).

 

(9) De u-chronos, littéralement « non-temps » ; construit comme utopie, u-topos « non-lieu.

(10) On apprendra que cet échec est l’œuvre d'un japonais ultra nationaliste ayant voyager dans le temps.

(11) Rappelons qu'à la fin de la guerre, dans la "vraie" Histoire, la division de la Corée en 2 états procède de l'importation d'un conflit extérieur, la guerre froide, dans le pays.

 

 

AU COEUR DU TeMPS

 

 

 

"La seule machine à voyager dans le temps ayant jamais fonctionné est le récit de science-fiction"

Robert Silverberg (Préface à Trips, Calmann-Levy, coll. « Dimensions SF » no 23, 1976)

 

 

 

Permettez que je débute cet article par un voyage dans le temps mémoriel... 1967 (j'ai 11 ans), sur la 2° chaine de l'ORTF, en couleurs (1er octobre 1967, passage à la couleur en France) débute la diffusion de la série américaine Au coeur du temps relatant au fil des épisodes les tribulations de Tony Newman (James Darren) et Doug Phillip (Robert Colbert), prisonniers de leur chronogyre (tunnel du temps), de la Troie antique à fort Alamo ou de Pearl Harbor à la fin du monde ! Cette série, avec Voyage au fond des mers (créée par Irwin Allen, diffusée en France en 1969), marquera mon imaginaire de gamin et renforcera mon goût (devenu immodéré) pour la Sf.

Cet article se propose donc une plongée dans le temps au travers des films de Sf l'ayant comme thématique. Nous verrons tout d'abord que le thème du voyage dans le temps est, peut-être plus que tout autre, en prise avec la science et l'état des connaissances scientifiques de l'époque. Puis nous verrons ce que nous disent ces films du présent... même s'ils abordent le voyage temporel vers le passé ou l'avenir. Pour finir nous ferons une place particulière à l'Histoire (notez le grand H) au travers de l'uchronie.

 

 

 

I- science et voyage dans le temps

 

Le voyage dans le temps relève de 3 domaines principaux : la magie (et le fantastique), la philosophie et la science. Ce dernier domaine sert d'assise à quasiment tous les récits de voyage dans le temps des nombreux films qui en ont fait leur pitch.

 

 

A- Etude de cas : Interstellar de Christopher Nolan

(12) En 2014 est sorti The Admiral : Roaring Currents, film de Kim Han-min sur cette figure de l'histoire nationale coréenne l'amiral Yi Sun-Chin, Se reporter à cette article sur le blog Leciénamestpolitique.

(13) Le point de divergence étant la non-intervention des Etats-Unis lors des 2 guerres mondiales.

(14) Selon Henriet il y aurait 5 fonctions à l'uchronie : l'uchronie historique que des historiens (Toynbee par exemple) utilisent pour confronter des points de vue (expérimenter) ; l'uchronie pédagogique de mise en garde ; l'uchronie nostalgique des regrets et des espoirs perdus ; l'uchronie divertissante ; l'uchronie prétexte, pour régler des comptes

(16) Se reporter à l'article sur les extraterrestres, dans lequel nous avons développé l'analyse du film de Neill Blomkamp.

 

 

BIBLIOGRAPHIE - WEBOGRAPHIE

 

 

Lire : ouvrages généraux sur la Sf et le cinéma de Sf

 

 

ANDREVON, Jean-Pierre. 100 ans et plus de cinéma fantastique et de science-fiction. Rouge profond, 2013.

 

BILLARD, Claude. Le cinéma de science-fiction. CinémAction n° 68, 1993.


BOUYXOU, Jean-Pierre. La Science-fiction au cinéma. Collection 10/18. 1971.


CAMERON, James. Histoire de la science-fiction. Mana Book. 2019.

 

CHION, Michel. Les films de science-fiction. Cahiers du cinéma. 13/11/2008.


DUFOUR, Éric. Le Cinéma de science-fiction : Histoire et philosophie. Armand Colin, 2011.


LAFOND, Franck. Dictionnaire du cinéma fantastique et de science-fiction. Editions Vendémiaire. 2014.


LE POINT Pop culture. Les chefs-d'œuvre de la science-fiction. Hors-série 2018. Lire.


PENSO Gilles. Encyclopédie du cinéma fantastique. Lire. A noter les fiches thématiques.

 

VERSIN, Pierre. Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction. Lausanne, L'Age d'homme, 1972. Réédition 2000.

 


Lire  :  ouvrages et articles autour du temps dans le cinéma de Sf

 

 

CAMPEIS, Bertrand. L'Uchronie... Petite approche du genre. Sur le blog Actusf : VOIR.

 

CORBEIL, Pierre. L'uchronie, une ancienne science inspire un nouveau sous-genre. Solaris n°110, juillet 1994. Sur Noosfere : VOIR.

 

DELUERMOZ, Quentin et SINGARAVELOU, Pierre. Pour une histoire des possibles. Analyses contrefactuelles et futurs non advenus. Paris : Seuil (L’Univers historique), février 2016. Des mêmes auteurs un article ayant quasiment le même titre dans la revue d'Histoire Moderne et Contemporaine en 2012. VOIR.

 

FAVIER, Jacques. Les jeux de la temporalité en science-fiction. Revue Littérature, 1972. VOIR.

 

GOBLED, Karine et CAMPEIS Bertrand. Le Guide de l'uchronie. Les 3 souhaits, 2015. Une interview dans ActuSf : VOIR.

 

HENRIET, Eric B. L'uchronie. Klincksieck, 2009.

 

HENRIET, Eric B. L'Histoire revisitée: Panorama de l'uchronie sous toutes ses formes. Encrage, 2004.

 

HENRIET, Eric B. Pourquoi écrit-on de l'uchronie ? VOIR.

 

KLEIN, Gérard, préface à Pavanes, roman de Robert Silverb=berg. Le Livre de Poche, Avril 2008. VOIR.

 

LETOURNNEAUX, Mathieu. Science-fiction et uchronie Entre logiques sérielles et logiques contrefactuelles. Revue Ecrire l'histoire, 2013 : VOIR.

 

MARC, Pierre. Retour vers le passé – Le voyage dans le temps au cinéma. Bibliothèque Louise Michel. VOIR.

 

RICHE, Daniel. Science-Fiction et Histoire, une introduction. In revue Change : Science-fiction et Histoire, 1981. VOIR.

 

ROUILLER, François. Temps et science-fiction. Sur Noosfere, 2007. VOIR.

 

TERREL, Denis (dir). La science-fiction dans l'histoire, l'histoire dans la science-fiction. Revue Cycnos, Volume 22 n°1, 2005. VOIR. En particulier Les articles de :

  • REGNIER, Jean-Jacques. L'Histoire, un cas particulier de la science-fiction. VOIR.
  • MINNE, Samuel. Yesterday Never Dies : perdre et retrouver l’Histoire dans quatre sociétés post-cataclysmiques. VOIR.
  • MENEGALDO, Gilles. L’Inscription de l’Histoire et la vision du futur dans The Time Machine de H. G. Wells et son adaptation filmique par George Pal. VOIR.
  • TRON, Daniel. La Reconstruction de l'histoire, de Philip K. Dick au cinéma coréen contemporain. VOIR.

 

TORRES, Sandy. Les temps recomposés du film de science-fiction. L'Harmattan, Les presses de l'université de Laval, 2004. Des extraits : VOIR.

 

VAS-DEYRES Natacha et GUILLAUD, Lauric (dir). L’Imaginaire du temps dans le fantastique et la science-fiction. PU de Bordeaux coll. Eidolon, 2011. En particulier les contributions de :

  • HERAUD, Jean-Loup. Le présent « refiguré » par le passé : trois stratégies narratives de recomposition du présent dans la science-fiction : VOIR.
  • PLASSERAUD, Emmanuel. La seconde labyrinthique (entre autre sur L'armée des 12 singes » de Terry Gilliam : VOIR.
  • ANDRE, Danièle. À la recherche du temps perdu : identité mémorielle entre illusions et réécriture sur le film Final cut : VOIR.

 

VIAL, Eric. Histoire future, histoire passée : la science-fiction entre hymne au progrès et nostalgies. In Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie Année 2001 29-1-3 pp. 203-213. Fait partie d'un numéro thématique : Le temps bricolé. Les représentations du Progrès (XIXe-XXe siècles). VOIR.

 

 

Sur le Web

 

Sur la WIKIPEDIA

  • L'article uchronie : VOIR.
  • La liste des uchronies au cinéma : VOIR.
  • L'article rétrofuturisme : VOIR.
  • L'article univers parallèle : VOIR.

 

 

Sur le blog Human After All (HAL) :

  • L’Uchronie, une réécriture de l’Histoire au travers de ses œuvres majeures. Octobre 2017 : VOIR.
  • Rétro-Futurisme, 4 vieux films de Science-Fiction en noir & blanc, mai 2017 : VOIR.

 

 

Sur le blog Hisour.com, un article sur Rétrofuturisme : VOIR.

 

Voyage dans le temps : les trois théories les plus populaires au cinéma. Sur le blog Le Journal du Geek, 2019. VOIR.

 

La science-fiction imagine la fin des temps pour mieux l’exorciser. Article du Monde, 2017. VOIR.

 

Les paradoxes et voyages temporels à l'écran. Blog de la Médiathèque Marguerite Duras de Paris (2015). VOIR.

 

MORISSON, Jocelin. Le temps de la science-fictin. Magazine Inexploré, août 2017. VOIR.

 

Le dossier uchronie sur Noosfere : VOIR. avec, en particulier :

  • GUIOT, Denis. Faire de l'uchronie. Revie Mouvance n°5, juillet 1981.
  • NICOT, Stéphane et VIAL, Eric. Les seigneurs de l'histoire, Notes sur l'uchronie. Univers 1986. J'ai lu. / Galaxies (v. remaniée), 1986.

 

OEILLET, Audrey. Science et fiction : voyager dans le temps sera-t-il un jour possible ? Clubic, novembre 2016 : VOIR.

 

Voyager dans le temps, les différentes théories sur le blog OutTheBox. VOIR.

 

RALLO, Alex. Problématiques et pratiques de la chronomotion au cinéma. Sur le blog Filmexposure : VOIR.

 

Uchronia. Un site en anglais dédié à l'uchronie : VOIR.

 

VANDEGINSTRE, Louise. Neuf manières de jouer avec la notion de temps au cinéma. Dans les Inrocks, septembre 2020, VOIR.

 

 

Ecouter  / regarder

 

Uchronie : passé décomposé. In La Méthode scientifique par Nicolas MARTIN sur France Culture (septembre 2018). ECOUTER.

 

TOULARSTEL, Rémy. Des histoires de temps qui passe, dans tous les sens. Sur la webradio « Radioevasion » : ECOUTER.

 

Les Utopiales 2017 étaient consacrées au temps : VOIR. En particulier la conférence de Daniel TRON sur Le temps dans les films de science-fiction. ECOUTER.

 

Une vidéo de 50 minutes sur Le voyage dans le temps sur la chaîne Dailymotion La sphère de l'information. REGARDER.

 

 

A propos de Interstellar

 

  • LEHOUCQ, Roland. Utopiales 2015 : Le film Interstellar est-il réaliste ? VOIR sur Youtube.
  • LEHOUCQ Roland. Faire de la science avec Interstellar. VOIR.
  • LEHOUCQ, RolandBESNIER, Jean-MichelFALISSARD, Bruno. Dans l'émission Science Publique animée par Michel ALBERGANTI sur France Culture, mai 2015. Interstellar nous donne-t-il un cours de physique ? ECOUTER.
  • Une analyse / explication sur Oblikon : VOIR.
  • Bluffant et chimérique : “Interstellar” vu par un astrophysicien (Eric LAGADEC interrogé par Mathilde BLOTTIERE) dans Télérama : VOIR
  • Interstellar, trous de ver et voyage dans le temps sur le blog OutTheBox : VOIR.
  • l'obsession du temps chez Nolan sur le blog SilenceMoteurAction : VOIR.
  • LUMINET, Jean-Pierre. La physique étrange d'Interstellar sur le blog futura-sciences : VOIR.

 

 

A propos de La machine à explorer le temps

 

  • Sur la Wikipedia : VOIR.
  • DENIS, Emmanuel. Une critique du film de Georges Pal sur le blog Devildead. VOIR.

 

 

A propos de 2009 : lost Memories

 

  • Une critique sur le blog Sancho-Asia : VOIR.
  • La fiche Wikipedia : VOIR.
  • une critique sur DVDcritik : VOIR.

  • une critique sur le blog Ouvrelesyeux par Jérémy ZUCCHI : VOIR.

  • sur le blog Le cinéma asiatique c'est formidable : VOIR.

 

 

A propos de quelques films mentionnés

 

Tenet

  • MOSER, Léo. Une critique dans les Inrocks. VOIR.
  • Christopher Nolan et le temps : comment Tenet s'inscrit dans son cinéma analyse sur Allociné par Maximilien PIERETTE : VOIR. (avec une vidéo à REGARDER.

 

Les guerriers de l'Apocalypse

  • 6 critiques sur le blog senscritique : VOIR.

 

Les soldats de l'Apocalypse

  • L'article de la Wikipedia : VOIR.

 

Primer

  • ARBRUN, Clément, une critique du film sur le blog L'Ouvreuse : VOIR.

 

Prédestination

  • Une analyse de Gabriel PILET : VOIR.

 

L'effet papillon

  • Une critique sur le blog Ecran-Miroir : VOIR.

 

Southland Tales

  • Une article de Michael ATLAN sur Slate.fr : VOIR.

 

Jin-Rho

  • Un article sur le blog CinemaChoc : VOIR.
  • Un article sur son adaptaion coréenne par Christophe FOLTZER sur EcranLarge : VOIR.

 

En Angleterre occupée

  • Une analyse sur DVDclassik : VOIR.

 

 

 

Filmographies

 

  • Sens critique : 27 films uchroniques. VOIR.

  • Cinétrafic : 109 films uchroniques. VOIR.

  • Sens critique : 100 films sur le voyage dans le temps. VOIR.

  • Télérama : 10 films de voyages dans le temps. VOIR.

  • Wikipedia : liste des films de voyages dans le temps : VOIR.

  • Première : 20 films sur le voyage dans le temps : VOIR.

  • Senscritique : 18 films rétro futuristes : VOIR.

1) Interstellar, Nolan et le temps

 

Le film de Christopher Nolan, Interstellar, sorti en 2014 est un formidable condensé de ce que le « S » de Sf peut signifier. Le film aborde un concept phare (surtout dans les domaines de la Hard-Science-fiction et du Space Opera) : la vertigineuse immensité de l'Univers dont l'exploration passe par une approche quasi fantasmatique de l'espace et du temps.

Nolan est obsédé par le temps. Depuis Memento (2000) en passant par Inception (2010) et pour aboutir à Tenet (2020), le réalisateur traite sur le fond et dans la forme le concept de temps :

  • sur la forme (essentiellement par le montage) Nolan met littéralement en scène cette obsession pour le temps : il inverse la narration dans Memento, il multiplie les flashbacks dans Le Prestige (2006), il emboîte les strates temporelles du rêve dans Inception ; etc.
  • sur le fond du récit la réflexion sur le temps est omniprésente surtout avec Dunkerque (2017) dans lequel il construit tout le film sur l'alternance de 3 temporalités (la semaine pour l'Opération Dynamo, la journée pour les sauveteurs anglais et l'heure pour le sauvetage proprement dit) ; dans Tenet les actions se vivent simultanément, selon l'écoulement 'normal' du temps mais également dans le sens inverse de ce même temps ! Dans ce film Nolan s'appuie sur la théorie des multivers et des temporalités parallèles (cf. plus loin) ;

 

 

2) Science et hard-science dans Interstellar

 

Dans le film la science est très présente, avec un soucis d'expliquer de façon vraisemblable les phénomènes (le physicien Kip Thorne, prix Nobel 2017, spécialiste de la théorie de la relativité générale d’Einstein, participa à l'écriture du scénario du film. Est-ce réussi ? Selon Roland Lehoucq (cf. bibliographie) plutôt oui... quoique... Explications(1)...

 

Trou noir et trou de ver

Dans le film le trou noir Gargantua, mystérieusement apparu aux environs de Jupiter, est la porte vers une nouvelle galaxie qu'empruntent Cooper (Matthew McConaughey) et son équipage. Nolan met en (superbes) images LE subterfuge préféré des auteurs de Sf pour vaincre les incommensurables distances de l'Univers : le trou de ver(2). Il s'appuie sur un concept de la physique moderne, parfaitement observé et démontré depuis longtemps, le trou noir(3). Par contre Nolan, à la suite de maints et maints écrivains ou réalisateurs de Sf, exploite la possibilité, totalement théorique et hypothétique, ouverte par les travaux des années 30 d'Albert Einstein et Nathan Rosen), que ces trous noirs puissent être des portes dans l'espace-temps.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La bande-annonce

La planète océanique Miller

Sur la planète Miller une gigantesque vague submerge l'expédition. Cette vague (que l'on qualifierait de "scélérate" est une extrapolation du phénomène des marées à l'échelle de la colossale gravité engendrée par le trou noir Gargantua. Nolan s'est-il inspiré d'Hokusai ? En effet l'impressionnante vague de la planète Miller, pour spectaculaire qu'elle soit, laisse les scientifique sur leur faim. Ainsi, pour Roland Lehoucque, « L’esthétique souhaitée pour le film ne tient pas compte de certains éléments du réel » et il mentionne plusieurs faiblesses scientifique à propos de cette séquence.

A gauche, le trou noir Gargantua / à droite le trou noir capté par le télélescope Event Horizon.

Jean-Pierre Luminet (2014) : trous noirs et trous de ver.

Le temps relatif

Dans le film Cooper et son équipe voyagent dans l'espace et dans le temps. Deux moments forts illustrent ce propos. Lorsque Cooper débarque sur la planète Miller, lui et ses coéquipiers y passent quelques heures... qui représentent 23 années pour l'astronaute Rommilly (David Gyasi) resté en orbite. Ensuite, lorsque Cooper revient de son périple, quasiment aussi jeune qu'à son départ, sa fille est centenaire (un artifice 'capilottracté' la fait mourir le jour du retour de son père). Que voilà un autre thème cher aux auteurs de Sf, la relativité du temps(4), qui a donné lieu à moultes variations ! Nolan s'appuie là encore sur la physique de la relativité qui postule une dilatation du temps.

 

Le tesseract : représenter la 4° dimension

A la fin du film, Cooper s'éjecte de sa navette et plonge ainsi dans un espace étrange en forme de bibliothèque, au travers duquel il communique avec sa fille (le fantôme du début du film... c'était lui-même !). Selon la théorie de la relativité d'Einstein, la quatrième dimension désigne le temps... Comment représenter cette dimension ? Après la célèbre série télévisée, La quatrième dimension (de 1959 à 1964), qui avait associé cette dimension non seulement au temps mais aussi au mystère et à l'inconnu (la cinquième dimension selon le titre original), Christopher Nolan s'appuie à la fois sur la géométrie et son concept de tesseract mais aussi sur la métaphore. En effet, Cooper doit transmettre des informations cruciales à sa fille, quel meilleur environnement pour métaphoriser la connaissance qu'une bibliothèque ?

A gauche la vague d'Interstellar / à droite l'estampe d'Hokusai.

Le savant dans Interstellar

Par contre l'image du scientifique dans Interstellar ne s'appuie pas vraiment sur l'état de la science en 2014. En effet, si l'on trouve le professeur John Brand (Michael Cain) au début du film, par la suite les 2 figures de scientifiques sont Amélia Brand (Anne Hathaway) et Murphy Cooper (Jessica Chastain)... ce qui ne reflète pas le déficit de parité au sein de la communauté des chercheurs. De même Nolan nous inflige le cliché éculé (mais si commode au regard des représentations que nous, spectateurs, nous faisons du scientifique) du tableau noir recouvert d'équations compliquées.

La bibliothèqie tesseract (pour VOIR un gif animé d'un tesseract).

Conclusion

Interstellar s'appuie donc sur les connaissances acquises en 2014, dans les domaines de la physique de la relativité et la physique quantique (théorie des cordes), avec une volonté pédagogique évidente (et simplificatrice par ricochet)... mais, comme quasiment toute œuvre de Sf, le film extrapole, explore, s'aventure dans l'inconnu.

Le film est aussi un hommage à la Sf et son cinéma, plus particulièrement à 2001 l'Odyssée de l'espace (Stanley Kubrick, 1968) dont Nolan a du se nourrir, c'est sûr !

 


B- Science, science-fiction et voyage dans le temps

 

Le voyage dans le temps reflète l'état de la science et le succès (ou non) des théories scientifiques de leur époque, particulièrement dans le domaine de la physique. Heureusement Einstein et la physique quantique ont forgé une conception de l'espace-temps riche en audace pour la Sf.

 

 

1) Le temps spatialisé

 

Le temps est souvent perçu au travers de la métaphore du fleuve qui s'écoule inexorablement de sa source (la naissance de l'Univers ? l'apparition des hommes ? autre chose ?) vers sa destination (le néant ? la fin des temps ?). En physique on parle du temps spatialisé (en philosophie on parle de présentisme). Rapidement les auteurs de Sf se sont emparés de la métaphore pour, malicieusement, l'utiliser dans des récits de voyage dans le temps dans lesquels, puisque le temps est une fleuve, on peut en suivre le courant mais aussi le remonter ! Cela correspond à l'âge d'or des récits et des films de Sf traitant du voyage dans le temps (cf. la partie suivante et, en particulier l'étude de cas sur La machine à explorer le temps).

La trilogie Retour vers le futur (Robert Zemekis, 1985, 1989 puis 1990) exploite cette veine : une action effectuée dans le passé aura des répercussions sur le futur... avec tous les paradoxes possibles et imaginables, dont le plus célèbre, le pardoxe du grand-père : si, en remontant le temps, je tue mon grand-père... alors je ne pourrais naître... mais alors je ne pourrais pas tuer mon grand-père(5). On le trouve également dans Star Trek (JJ Abrahms, 2009) lorsque Néro tue, dans une ligne temporelle, le père de Kirk, avant la naissance de celui-ci...

 

 

 

2) Le temps relatif

 

Dès le début du XX° siècle avec les travaux de Henri Poincarré (la notion d'espace-temps), d'Albert Einstein (théorie de la relativité restreinte puis générale) ou Hermann Minkovski (qui approfondit la notion d'espace-temps) le temps n'est plus une variable immuable mais une notion inséparable et interdépendante à celle d'espace  : on passe du temps spatialisé au temps relatif et au multivers (en philosophie cela correspond peu ou prou à l'éternalisme).

La Sf s'est emparée avec gourmandise de cette révolution scientifique en exploitant 2 concepts majeurs :

  • le différentiel dans l'écoulement du temps entre des voyageurs spatiaux, pour qui des heures de voyages à des vitesses proches de celle de la lumière correspondraient à des années pour les habitants de la Terre (mis en image par Paul Langevin en 1911 avec le « le paradoxe des jumeaux »(4)) ; selon Stephen Hawking « [...] à 99% de la vitesse de la lumière, pour un jour à bord, il s'écoulera un an sur Terre. Le vaisseau volerait ainsi réellement dans le futur. ». Nous l'avons vu dans Interstellar mais on le trouve dans La Planète des singes (Pierre Boulle, 1963, puis Franklin Schaffner, 1968) où 4 années de vieillissement pour l’astronaute Georges Taylor (Charlton Heston) correspondent à 700 ans pour la Terre ; dans Année 2508 (Edward Bernds) datant de 1956, des astronautes de retour de Mars, découvrent une Terre post-apocalyptique. Dans les films cités ceux qui reviennent sont des « ancêtres », prétexte à une confrontation entre leur présent (qui est aussi celui des spectateurs) et les projections de celui-ci dans l'avnir ;
  • l’existence d'espaces-temps multiples (les multivers théorisés, entre autre, par Hugg Everett) est une autre conjecture chère aux auteurs de science-fiction (et qui permet de s'affranchir des paradoxes temporels). Prenons Source Code (Duncan Jones, 2011) : Colter Stevens (Jack Gyllenhaal), un soldat virtuellement mort, est envoyé par une agence scientifique dans le passé pour y revivre les dernières minutes d'un certain Sean avant un attentat terroriste, avec pour mission de débusquer ledit terroriste. Il s'agit donc de créer une nouvelle ligne temporelle où l'attentat est déjoué... mais Colter, en réussissant sa mission se donnera une place bien réelle (et bien vivante) dans cette nouvelle réalité temporelle.

 

 

3) Tordre l'espace-temps

 

Une préoccupation majeure des auteurs de Sf a toujours été de vaincre les incommensurables distances de l'Univers... or, qui dit distance dit également temps. En ce domaine la science leur a fourni quelques bases mais leur imagination a pris le relais. Fondés donc sur des bases scientifiques on trouvera 4 méthodes pour voyager dans l'espace et le temps :

  • la cryogénisation : actuellement cette technique n'est pas encore point même si quelques centaines de personnes, surtout aux Etats-Unis, sont cryogénisées (après leur mort et non de leur vivant s'entend) mais elle est courante en Sf d'Alien le 8° passager (Ridley Scott, 1982) à Passengers (Morten Tyldum, 2016) en passant par la variante du héro cryogénisé qui se réveille comme Chris Evans dans Captain America first Avenger (Joe Johnston, 2011) ou Silvester Stallone dans Demolition Man (Marco Brambilla (1993) ;
  • le trou de ver (appelé aussi pont d’Einstein-Rosen) déjà évoqué dans Interstellar et que l'on retrouve dans Contact de Robert Zemeckis (1997), ou Stargate, la porte des étoiles de Roland Emmerich (1995) ;
  • l'hyperespace qui permet de s'affranchir de la barrière de la vitesse de la lumière est certainement le plus répandu, en particulier dans les 2 sagas les plus connues, Star Trek et Star Wars, chacune ayant son propore champ lexical du voyage supralumique : warp ou distosion pour l'un, hyperdrive et hypermatière pour l'autre ;
  • et puis il y a la magie (du moins un procédé dont on ne s'embarrasse pas de postulats sicetifiques pour l'expliquer) comme le Bifröst dans les films mettant en scène le super héro Marvel Thor ;

 

 

4) Prédire / observer le futur

 

En 1924 dans le court-métrage The Fugitive Futurist de Gaston Quiribet, une caméra filme un Londres du futur, transformée par la technologie (et la montée des eaux). Ce film est probablement le 1er dans lequel l'observation (et donc la prédiction) du futur est mise en scène.

Murphy Cooper (Jessica Chastain) devant le tableau noir.

Si l’irrationnel, (parapsychologie, voyance, magie divinatoire, etc.), ou du moins le refus de toute explication plausible domine, le rationnel scientifique(6) est souvent convoqué.

  • Dans Minority Report (Steven Spielberg, 2002, adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick) la police utilise les services de mutants, les précogs, capables de deviner le futur. Leurs prédictions permettent ainsi d’arrêter les criminels avant qu’ils ne commettent leurs méfaits. Le film convoque la mutation pour assoir son postulat... mais peu importe car son propos est tout autre en posant avant tout des questions éthiques ;

  • Dans Dune (David Lynch, 1984 adapté du roman de Frank Herbert) c'est une drogue, l’épice, qui donne à ses usagers le pouvoir de lire l’avenir ;
  • dans Time Lapse (Bradley King, 2014) c'est une machine qui prend des photos avec 24 heures d'avance qui est le rouage de cette divination.

En fait dans ces cas, la physique quantique peut être, malgré tout, convoquée car le temps n'est plus perçu comme une durée immuable mais bien comme une autre dimension accessible.

 

 

 

5) La figure du savant dans l'exploration temporelle(7)

 

La notion de voyage dans le temps est liée à une conception moderne du temps et semble indissociable, au début du moins, de l’idée de progrès. C'est pourquoi le savant/scientifique est une figure obligée du voyage temporel. On y trouvera la galerie habituelle des scientifiques de Sf :

  • le farfelu : Emmett Brown (Christopher lloyd) dans la trilogie Retour vers le futur ;
  • le fou:  le docteur Peters (David Morse) dans L'arméee des 12 singes ;
  • le fou/farfelu : Edward Nygma (Jim Carrey) dans Batman Forever (Joël Shumacher, 1995) ;
  • le curieux : Samuel Beckett (Scott Bakula) de Code Quantum ou le professeur Alexander Hartdegen (Guy Pearce) dans La machine à remonter le temps (Simon Wells, 2002) ;
  • etc.

Mais à partir des années 2000 le scientifique devient celui qui travaille en réseau, connecté à travers le monde. Le temps du savant solitaire parait révolu. Dans Primer (2007) Shane Carruth fait de ses 2 héros des ingénieurs à la Mark Zuckerberg, aussi talentueux que réalistes : le voyage dans le temps sert à gagner de l'argent !

 

 

 

Conclusion

En fait quand le cinéma de Sf aborde les questions de temps la science lui fournit un cadre, l'imaginaire un scénario, le réalisateur (avec les acteurs et les équipes techniques) un spectacle, les Fx un outil... mais c'est bien le spectateur qui malaxe cela pour son plus grand plaisir (ou non)... car peut-être plus que tout autre genre de la Sf au cinéma, le voyage dans le temps fait appel à la suspension consentie d'incrédulité. Sinon comment pourrait-on accepter des machines à explorer le temps aussi improbables que le fauteuil victorien de Georges Pal, la Delorean de Doc Emmett Brown ou la cabine téléphonique du docteur Who (Tardis) ?

The fugitive Futurist (Gaston Quiribet, 1924).

II- LE voyage dans le temps, reflet de notre epoque


 

Le titre parait assez bizarre : si on voyage dans le temps, c'est bien pour quitter son époque non ? En fait les récits cinématographique de Sf sont un bon reflet/miroir de l'époque qui l'a vu naître... et même quand il s'agit de voyager dans le passé ou dans l'avenir. Explications...

 

 

A) Etude de cas : La machine à explorer le temps, HG Wells, Georges Pal, Simon Wells

 

En 1895 (année de l'invention du cinéma !) Georges Herbert Wells publie La machine à explorer le temps. La trame du récit (Wikipedia) : « Un scientifique vivant à l’époque victorienne fabrique une machine à voyager dans le temps et voyage loin dans le futur. Il s’aperçoit alors que le genre humain s’est divisé en deux espèces, une vivant à la surface, et l’autre sous terre. Quand sa machine est volée par le peuple souterrain cannibale, il doit risquer sa vie pour retourner dans son époque. ». Ce roman est un peu la matrice du voyage dans le temps en science-fiction. Il sera adapté 2 fois au cinéma (et une fois, en 1978, à la télévision), en 1960 par Georges Pal puis en 2002 par l'arrière-petit fils de HG Wells, Simon Wells. Comparaison(8)...

 

1) 1895, un roman social et philosophique

 

Dans l’œuvre originale, Wells propose une vision glaçante de la société de son temps (l'Angleterre Victorienne, 1838-1901) et de son devenir possible :

  • d'abord en montrant une évolution de l'espèce humaine en 2 groupes opposés, les Eloi une élite oisive assez « simple d'esprit » dont la vie idyllique repose sur une classe laborieuse souterraine, les Morlocks, véritables maîtres des lieux qui se nourrissent des Eloi ! Une telle vision sera reprise par Fritz Lang dans Métropolis (1927) ;
  • ensuite Wells pousse son héros très très loin dans l'avenir pour observer la dégénérescence de l'espèce humaine, les Morlocks devenant d'abord des sortes de crabes géants puis une espèce de mollusques sur une Terre vide et désolée ; dans le dernier chapitre on comprend même qu'il est parti, dans une ultime tentative pour plonger dans le futur, au-delà de la fin du monde ;

H.G. Wells a écrit un roman social sur les inégalités aux temps de l'Angleterre Victorienne tout en puisant aux sources de la science de son époque avec les théories Darwiniennes dont il était un fervent défenseur (le livre L'Origine des espèces sort en 1859 et Darwin meurt en 1882).

 

2) 1960, un bon film Hollywoodien

Georges Pal transforme le propos de Wells (certains diraient qu'il le pervertit) en le vidant de son contenu social et philosophique. Nous sommes au tout début des années 60, l'âge d'or Hollywoodien, et Pal se fait l'écho de cette époque :

  • en effaçant du scénario la fin du roman, trop pessimiste ;
  • en privilégiant le spectacle (excellent au demeurant), en particulier en exploitant à fond l'arsenal des effets spéciaux de l'époque pour simuler le passage du temps (les dispositifs cinématographiques devenant alors eux-mêmes des passeports pour le voyage temporel) ;
  • en édulcorant la réflexion sur les inégalités sociales car, dans les séquences Eloi / Morlocks, il privilégie la romance du héros (Rod Taylor) avec Weena (Yvette Mimieux) ;
  • en introduisant une obsession de l'époque, la guerre nucléaire puisque que le héros, après avoir fait un courte incursion en 1917 (présente uniquement dans la refonte du roman par Wells en 1924) puis en 1940, arrive en 1966 (6 ans après la sortie du film) et découvre un Londres englouti par la lave suite à une guerre nucléaire...

Le film de Georges Pal est très rétro futuriste : les décors créés renvoient plus au passé qu’à l’avenir. Surtout il emploie des signifiants culturels, plus ou moins associés à une période historique donnée et qui correspondent à l’horizon d’attente du spectateur habitué des productions hollywoodiennes. Ce futur virtuel se différencie du monde présent dans lequel vit le spectateur, mais celui-ci dispose de points de comparaison, d’un système de signes familiers, d’échos et de résonances fortement inspirés par le patrimoine cinématographique et, en particulier, les films de genre.

 

3) 2002, quand les Fx ne suffisent pas...

Simon Wells adopte un tout autre parti en tournant le dos à l'argument du livre (et du film de 1960) : le héros n'est plus motivé par la curiosité scientifique mais par une quête personnelle autour de sa bien-aimée et de sa mort (ce qui permet au réalisateur d'aborder les notions de destin et destinée). De même la critique sociale contenue dans le livre existe... mais elle est plutôt vide de sens. En fait ce film reflète assez bien les années 2000 : les remakes hollywoodiens d’œuvres anciennes, ayant un statut de mythe, passent par une relecture 'personnelle' desdites œuvres et leur modernisation par une débauche d'effets spéciaux numériques... ce qui n'est pas du tout synonyme de mauvais films d'ailleurs (pensons à La guerre des Mondes de Steven Spielberg en 2005 ou aux rebbots de Star Trek par J.J. Abrahms en 2013 ou de La planète des singes par Rupert Wyatt en 2009).

 

Conclusion

 

Avec La Machine à explorer le temps, HG Wells s'appuyait sur la conception de la nature du temps telle qu'elle dominait son époque, la conception spatialisée que la comparaison avec un fleuve qui s'écoule immuablement illustre le mieux (cf. 1ère partie). Cette perception, remise en cause par la physique quantique, reste malgré tout largement partagée, encore aujourd'hui. Cette oeuvre reflète donc à la fois l'état de la science d'une époque mais également l'imaginaire collectif dominant.

 

 

B) Ce que dit le voyage dans le temps...


Le voyage dans le temps est prétexte à discourir sur le passé, le présent et le futur. En ce qui concerne passé et avenir on recherchera quelles visions dominent pour ensuite nous interroger sur ce que ces excursions dans le temps peuvent signifier à propos de notre percetion du présent.

 

1) Le futur, entre fantasmes et alertes

 

Le rétro futurisme

La science-fiction littéraire, dans son acte de naissance et son expansion dit de l'âge d'or (années 40-60), est consubstantielle de l'idée de progrès. Les Trente Glorieuses, avec sa kyrielle d'avancées technologiques et scientifiques, incarnées, entre autre, dans la course à l'espace, a induit une vision du futur portée par la Sf littéraire puis cinématographique : le rétro futurisme qui se développa entre les années 50 et les années 80). Il s'appuie en partie sur le mouvement futuriste (fin XIX° - début XX° siècles), qui proposait une vision exaltée du futur, pour la réactualiser (car ce futur est devenu souvent le présent du lecteur), en y introduisant doute et désenchantement. Il propose également une vision du passé au sein de l'avenir, au travers essentiellement des mouvements Steampunk et dieselpunk. Dans nombre d’œuvres rétro futuristes on décèle de la nostalgie, qu'elle soit induite par le réalisateur ou bien ressentie par le spectateur.

 

Le futur hypertechnologisé

C'est une topoï classique de la Sf et le thème du voyage dans le temps en direction du futur n'y échappe pas... sachant que cette construction du futur reste tributaire de l'état de la science contemporaine : par exemple aucun des films de voyage vers l'avenir réalisé avant les années 80 n'anticipe sur le monde d'Internet et des communications globales !

 

Le futur fantasmé

Bien souvent le futur imaginé par les scénaristes et réalisateurs est une vision fantasmée issue des réalités sociétales du présent. Par exemple, en 1960 sort Le voyageur de l'espace (Beyond the Time Barrier) d'Edgar G. Ulmer : un astronaute se retrouve sur une terre future dystopique où la société fracturée en 2 clans est condamnée à l’extinction par infertilité. Seul homme fertile le héros évolue au milieu de jeunes femmes en mini-jupes privée de paroles ! Dans La planète des singes (Franklin J. Schaffner, 1967) les humains primitifs en jupettes et cache-sexe ou les singes dominants médiévo-futuristes sont tout à fait dans l'imaginaire des sixties.

 

La fonction d'alerte

« Comme tout art impliquant l’anticipation, la science-fiction a toujours eu un rôle d’alerte. Et un rôle de catharsis qui purge nos peurs sociétales. C’est notre Cassandre de la littérature » cette phrase, signée Alain Damasio (cf. la bibliographie) résume une un aspect archiclassique de la Sf et de son cinéma. A ce qui concerne le thème du temps, de nombreux films explorent le lien de causalité entre nos actes présents et leurs conséquences futures, à l'échelle des individus et des sociétés. Exemples :

  • dans Cloud Atlas (2013), Lana et Lily Wachowski décrivent, au travers de 6 destins individuels, une humanité condamnée à répéter ses erreurs ;
  • avec l'émergence de la conscience écologique dans les années 80, le voyage dans le temps se veut lanceur d'alertes environnementales : dans Star Trek, retour sur Terre (Leonard Nimoy, 1986) c'est une baleine de 1980 qui sauvera la Terre de 2285 ;
  • La planète des singes (Franklin J. Schaffner, 1967) mèle écolo-philosophie (en dénonçant le saccage de la nature issu de la course au progrès) et avertissement anti-nucléaire (ha ! La scène finale !) ;
  • et puis il y a Southland Tales (Richard Kelly, 2006), qui, sous couvert de grosse série B malencontreusement égarée au festival de Cannes, se révèle être, par une habile exploitation de l'idée de faille dans le continuum espace-temps, un portrait dystopique de l'Amérique... non de 2006 (raté !) mais de 2016 (Trump, la NSA, etc.) ! C'est le prototype du film dont le futur décrit ne prend son sens qu'avec le temps (sic !)

 

Le futur manipulé

Alors que les films de Sf des années 40 à 60 insistent sur l'anticipation (le voyage dans le temps permet de visualiser ce que donne tel ou tel aspect du présent dans le futur : cf. plus haut), à partir des années 70 les représentations du temps se complexifient (par exemple avec les boucles et les paradoxes temporels) et dès les années 80 (avec le cyberpunk par exemple) c'est la question de la manipulation du temps qui devient prégnante avec, par exemple, Minority Report (Steven Spielberg, 2002) ou les sagas de super-héros qui ont, quasiment toutes, leur voyage temporel manipulateur (X-Men, days of furute past de Bryan Singer en 2014 ; Avengers ; End game des frères Russo en 2019 ; Docteur Strange de Scott Derrickson, en 2016 ; etc.).

 

Une réflexion sur le destin

Le voyage vers le futur est souvent prétexte à une réflexion sur le destin et le principe de causalité (toute cause précède la conséquence).

Cela peut être fondé sur des principes scientifiques. Il en va du principe de cohérence de Novikov selon lequel toute possibilité de paradoxe temporel est nulle, illustré par exemple :

  • par le film coréen 11 AM (Kim Hyeon-seok, 2013) dans lequel les protagonistes tentent sans succès de modifier leurs actions pour éviter une catastrophe à venir ;
  • par la série des Terminator dans laquelle les multiples voyages temporels n'altèrent en rien l'inéluctable émergence de Skynet
  • par le film des frères Spierig, Prédestination (2014) dans lequel Ethan Hawke n'échappe pas à son destin de devenir un terroriste ; 
  • ou encore par L'effet papillon (Eric Bresse et J. Mackie Gruber, 2004) dans lequel Evan Treborn (Ashton Kutcher) expérimente la faculté qu'il possède de modifier le passé... pour se rendre compte que par le fameux « effet papillon » ses modifications créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent...

Cette réflexion se situe le plus souvent sur le plan philosophique voire théologique :

  • ainsi, en s'appuyant sur les théories des mondes multiples et des multivers Jaco Van Dormel dans Mister Nobody (2009) évoque les multiples vies de Nemo Nobody (Jared Letto) issues de son libre-arbitre et des choix qu'il fit à certains moments ;
  • dans Minority Report (Steven Spielberg, 2002) la police utilise les services de mutants capables de deviner le futur. Tout le film, et particulièrement son dénouement, tend à démontrer qu'il n'est pas possible (souhaitable ?) de prédire avec certitude les événements à venir.

 

 

2) Le passé, entre nostalgie et revisitation

 

Dans les films de retour dans le passé, celui-ci est bien souvent idéalisé (kitch – image d'Epinal – topoï Hollywoodiens) : plonger dans le passé, c'est donc bien souvent plonger dans l'image que l'on s'en fait.

 

Idéalisation et nostalgie

Le rétro futurisme (cf. + haut) propose une vision du passé au sein de l'avenir. Dans nombre de films de Sf rétro futuristes on décèle de la nostalgie, qu'elle soit induite par le réalisateur ou bien ressentie par le spectateur. La plupart des films de voyage dans le passé, réalisés entre les années 30 et 80 fonctionne de cette façon. Bien sûr le must reste les épisodes 1 et 3 de Retour vers le futur (Robert Zemekis, 1985 et 1990) qui proposent une vision assez nostalgique de l'Amérique des fifties (en 1955) et de l'époque de la conquête de l'Ouest (en 1855).

 

Revisiter le passé

Attention, revisiter le passé n'est pas ré-écrire l'histoire (nous verrons cela en 3° partie) mais plutôt le dépeindre selon les stérotypes ou les idées (parfois idées reçues) que l'on peut s'en faire. Ainsi les 1ers films de voyage dans le temps ressemblent souvent à une sorte d'exploration curieuse et souvent burlesque, d'un temps linéaire, centré sur la revisitation du passé. Le 1er mettant en scène ce thème est une adaptation d'un roman de Mark Twain, en 1921, Un Yankee à la cour du roi Arthur (Emmett J. Flynn), film qui sera suivi de 5 remakes entre 1931 et 1996. Mais cette revisitation du passé n'est pas très répandu dans le cinéma de Sf alors qu'elle a donné lieu à pléthore de films comiques (on joue sur le contraste entre les époques) parmi lesquels, bien évidemment, la série des Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1993 à 2016) ou encore ce bon vieux Fernandel chez François 1er (Christian-Jaque, 1937).

 

 

3) Le présent, satire et inquiétude

 

La comparaison satirique pour réfléchir au temps présent 

Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, 1993) fonctionne sur le décalage socioculturel qui crée non seulement un effet burlesque, mais également un discours implicitement satirique, dénonçant avec humour le ridicule de certaines classes et conventions sociales. Dans un autre genre, le film américain Idiocracy (Mike Judge, 2006) nous plonge dans un futur dystopique où tout le monde est devenu bête au point qu'un idiot d'aujourd'hui y passe pour un génie. On a tous pu se rendre compte en 2016, lors de l'accession de Trump au pouvoir, à quel point le film touchait juste et, sous couvert de blagues un peu lourdes, décrivait en fait l'évolution de notre société de manière critique et prémonitoire  !

 

Le besoin d'être sauvé

Le but principal du voyage dans le temps est fréquemment une question de salut : il s'agit de sauver le monde (ou un individu) dans une situation où un autre voyageur du temps cherche à détruire ou dominer le monde (ou un individu). A chaque fois on peut y voir une marque de l'inquiétude sourde de l'époque. Exemples :

  • la saga Terminator tourne autour de Skynet et de l'holocauste nucléaire prévu en 1997 et brode à l'infini sur le voyage temporel ;
  • dans X-Men Days of future past (Bryan Singer, 2014) Wolverine (Hugh Jackman) doit non seulement sauver les mutants mais aussi le modèle d'une société tolérante ;
  • dans L’Armée des douze singes (Terry Gilliam, 1996) James Cole (Bruce Willis) est propulsé à partir de 2035 vers 1997 pour empêcher la propagation d'un virus responsable du quasi anéantissement de l'humanité... mais ce sera en vain ;
  • dans Avengers : Endgame (Joe et Anthony Russo, 2019) pour effacer la mort de la moitié de l'humanité il faudra aux Avengers revenir dans le passé ;
  • dans Tenet (Christopher Nolan, 2020) de nouvelles temporalités se créent et évoluent au fur et à mesure que se déroule la traque de Sator (Kenneth Branagh) ;
  • dans Edge of Tomorrow (Doug Liman, 2014), la boucle temporelle dans laquelle est enfermé le major William Cage (Tom Cruise) l'oblige à mourir sans cesse pour sauver le monde de l'invasion des Mimics ;
  • cela pas aussi être une quête pour sauver / tuer un seul individu comme dans Men in Black 3 (Barry Sonnenfeld, 2012) om l'agent J (Will Smith) remonte à 1969 pour sauver l'agent K (Tommy Lee Jones) ou encore dans Superman (Richard Donner, 1978) dans lequel le super héros (Christopher Reeve) remonte le temps en inversant la rotation de la Terre (sic !) pour sauver Loïs Lane (Margot Kidder) ;

 

 

Time is money

Cet aphorisme prété à Benjamin Franklin (1748) reflète assez bien la relation qu'entretient le capitalisme au temps. La Sf et son cinéma ont poussé parfois très loin cette relation pour arriver à l'idée que le temps (de vie) se monnaye dans des sociétés futures toujours dystopiques :

  • sous couvert de de Space Opera tortueux le film Jupiter : le destin de l'univers (Lana et Lily Wachowski, 2015) apporte sa pierre à cette réflexion en faisant de la Terre une propriété privée (pour la dynastie Abrasax) et les humains une biomasse à 'récolter' pour produire un elixir de vie éternelle ;
  • dans Time out (Andrew Nicholl, 2011) le temps est devenu l'unité monétaire mondiale que l'on gagne ou que l'on pert par son travail mais aussi par le jeu, le vol, l'extorsion ou le meurtre.

 

Conclusion

Les films de Sf autour du voyage dans le temps permettent une revisitation du passé et une anticipation d'un futur solidement ancré dans le présent... et c'est encore plus complexe que cela car bien souvent, le futur exploré par le voyageur temporel... devient le présent, voire le passé du lecteur ou du spectateur ! Si cela n'est pas propre au thème du voyage dans le temps celui-ci permet beaucoup de liberté et de créativité. Mais visiter ou revisiter futur et passé ne suffit pas aux auteurs de Sf qui ont imaginé des histoires alternatives appelées uchronies. Voyons dans cette dernière partie ce que le voyage dans le temps dit de l'Histoire (avec un grand H !).

 

 

 

III- Histoire et uchronie dans les films de Sf

 

 

Blaise Pascal a écrit, dans ses Pensées (1670) : « Le nez de Cléopâtre : s’il eut été plus court, toute la face de la terre aurait changé ». L'uchronie(9) adopte quasiment à la lettre cet aphorisme. C’est en 1857 que naît le terme avec le philosophe Charles Renouvier dans son livre Uchronie : l’utopie dans l’Histoire). Une uchronie possède 3 composantes :

  • une référence explicite à l'Histoire « véritable » ;
  • un point de divergence (ou plus) qui mène à...
  • ... une Histoire fictive (Alternate History selon les anglosaxons)

 

 

A- Etude de cas : 2009 : lost Memories

 

Sorti en 2002 en Corée ce film n'a pas été distribué autrement qu'en DVD en France. Peu connu donc il est, pour notre sujet, un bel exemple d'uchronie. Analyse...

 

1) Le film

2009: Lost Memories est un film coréen de Lee Si-myung, sorti en 2002. C'est un formidable exemple d'uchronie avec un point de divergence clairement identifié : en 1909 l’assassinat du gouverneur général du Japon en Corée, Ito Hirobumi, est un moment fondateur de l'histoire de la Corée et de la résistance au Japon. Or, dans le film, cet assassinat échoue(10)... Le cours de l'Histoire est changé : la Corée disparaît, annexée par le Japon devenu l'allié des Etats-Unis, en lutte contre l'Allemagne nazie (dont la capitale, Berlin, sera la cible de la 1ère attaque nucléaire de l'histoire !).

Cinématographiquement parlant l’incrustation de fausses images d’archives, en couleur sépia, identifie clairement le point de divergence ; si celui-ci est compréhensible pour un spectateur coréen, pour un spectateur étranger cela reste difficile : aussi le film crée dans le générique une historiographie alternative à coup de photos d'archives illustrant l'assimilation de la Corée par le Japon et les événements majeurs de cette Histoire Alternative.

 

 

2) Une uchronie nationaliste ?

 

Le film repose sur un postulat simple : le spectateur connaissant la véritable Histoire on lui propose un récit et une mythologie alternative dans laquelle la nation coréenne n'a été fracturée que par les envahisseurs extérieurs et plus particulièrement par la politique impérialiste du Japon(11). Dans le film les japonais sont les bad guys (non pas individuellement mais en tant que représentants d'une politique impérialiste) : les coréens cherchent à reconquérir leur liberté et à réinvestir leur propre histoire, en particulier en luttant contre la fondation Inoué qui pille le patrimone culturel coréen (sujet brulant d'actualité, par exemple entre la France et les pays de son ex-empire colonial africain).

Ce film pose aussi la question de l'identité coréenne et, à ce titre, il est aussi l'expression d'un renouveau du nationalisme coréen (dans les années 2010) centré autour de la réunification du pays. Le réalisateur glisse dans son film des allusions à cette réunification dont les blocages sont, selon lui, internes et non plus externes (le titre du film pouvant être, en plus d'une métaphore sur l'uchronie, une allusion à la nation coréenne unie dont les coréens auraient perdu la mémoire ?). Ce renouveau du nationalisme est illustré, 3 ans plus tard, en 2005, avec le film Les Soldats de l'Apocalypse (réalisé par Min Joon-ki) dans lequel des soldats de 2005 interviennent dans le passé coréen pour aider l'amiral Yi Sun-Chin (un héros de l'histoire nationale coréenne) à vaincre les envahisseurs japonais en 1597(12).

 

 

3) Une 'spécialité asiatique' ?

On peut se poser la question car au Japon et en Corée on trouve, en manga et en films bien plus d'uchronies que dans le cinéma occidental (nous le verrons plus loin). En effet, avant 2009 : lost Memories nous avions eu Jin-Roh - La Brigade des loups (1999), un film d'animation japonais de Hiroyuki Okiura (adaptation du manga Kerberos Panzer Cop de Mamoru Oshii) dans lequel le Japon des années 50 est occupé par l'Allemagne nazie victorieuse de la guerre(13). Cette uchronie est totalement dystopique avec une société japonaise éclatée entre néofascistes et libertariens, un état policier répressif, une violence omniprésente, un ultralibéralisme dur, etc.

Deux films avaient précédé celui-ci (The Red Spectacles en 1987 et Stray Dogs en 1991) et Kim Jee-Woon l'adaptera pour le public coréen sous le titre Illang : La Brigade des loups... en y ajoutant des éléments de géopolitique proprement coréenne (rapprochement progressif et difficile entre le Sud et le Nord, ingérence chinoise, américaine et russe, repli nationaliste). On peut évoquer aussi La Tour au-delà des nuages, un film d'animation japonais de 2004, réalisé par Makoto Shinkai, dans lequel le Japon est, depuis 1945, divisé entre un nord communiste et un sud libéral (comme ce fut rellement le cas pour la Corée d'ailleurs).

 

 

Conclusion

Blockbuster uchronique 2009 : lost Memories pose aussi des questions d'identité culturelle et de souveraineté nationale. Mais, comme quasiment toutes les uchronies au cinéma, l'Histoire vraie est réinstallée à la fin (l'assassinat se produit et l'histoire reprend son cours)... alors que dans nombre d'uchronies littéraires (cf. Le maître du Haut-Chateau de Philip K. Dick) cette forme de résolution est refusée.

 

 

B- Uchronie, vous avez dit uchronie ?

 

En Sf littéraire l'un des romans uchroniques majeurs fut Le Maître du Haut Château de Philip K. Dick en 1962 dans lequel l’assassinat de Franklin Roosevelt en 1933 fait que, minés par la Grande Dépression, les Etats-Unis restent neutres face à Hitler qui, finalement, conquiert la partie Est du pays tandis que les Japonais s'emparent de la partie Ouest. Qu'en est-il au cinéma ? L'uchronie fait-elle recette ?

 

 

1) L'uchronie dans le cinéma de Sf

 

En 1er lieu il faut noter que le cinéma (occidental surtout) ne s'est pas emparé massivement de l'uchronie : peu de films en ont fait leur pitch principal. Par exemple Le Maître du haut château de Philip K. Dick, auteur qui fut si souvent adapté au cinéma, ne donna lieu qu'à une série produite par Ridley Scott sur Amazon Prime en 2015. Peut-être parce que, si le temps (avec ses catastrophes, paradoxes, boucles temporelles, erreurs de destination, confrontation de 2 mondes...) forme un excellent matériel cinématographique, l'Uchronie est, moins « bonne cliente » ?

En regardant la liste des films d'uchronie sur la Wikipedia on constate qu'assez peu relèvent de la science-fiction alors que les autres genres comme le thriller ou la comédie ont leur compte de films comme Jean-Philippe de Laurent Tuel (2006), Inglourious Basterds de Quentin Tarantino (2009), Le voyage d'Arlo de Peter Sohn (2015), Once upon a time in Hollywood de Tarantino encore (2019), Avril et le monde truqué de Christian Desmares et Franck Ekinci (2016) ou encore le pétillant Yesterday de Danny Boyle 2019). Quand la Sf s'en empare c'est le plus souvent pour évoquer une catastrophe ayant modifié le cours des événements (guerre nucléaire le plus souvent). Il en existe peu qui créent réellement un point de divergence tissant une histoire parallèle :

  • En Angleterre occupée (Kevin Brownlow et Andrew Mollo, 1960) est une dystopie sur un Royaume-Uni sous le joug des nazis ;
  • dans Punishment Park (Peter Watkins, 1971) le président Nixon a déclaré l'état d'urgence lors de la guerre du vietnam et le réalisateur en explore les noires conséquences ;
  • Dans Retour vers le futur 2 (Robert Zemekis, 1989) le point de divergence est l'acquisition d'un almanach de résultats sportifs qui, venu du futur, permet à Biff Tannen (Thomas F. Wilson) de s'enrichir et d'influer sur la politique américain de telle façon que Nixon enchaîne les mandats et que la guerre du Vietnam est toujours en cours en 1985 ;
  • Watchmen : Les Gardiens (Zack Snyder, 2009, adaptation du comic d'Alan Moore et Dave Gibbons) se déroule dans une réalité alternative où les États-Unis (qui ont gagné la guerre du Vietnam) et l'Union soviétique sont sur le point d'entrer en guerre ;

 

 

2) Qu'est-ce que l'uchronie dit de notre époque ?

 

L'uchronie permet la critique de l'époque car, sous le couvert d'une histoire alternative, elle met notre époque en perspective pour nous amener à réfléchir à notre société et ses choix et interroger la pertinence de ces choix. Si l'uchronie littéraire est riche de multiples fonctions(14) dans le cinéma de Sf on se rend compte qu'elles relèvent de la dystopie politique (que nous avons déjà analysé dans l'article sur la politique dans le cinéma de Sf).

 

 

3) Qu'est-ce que l'uchronie dit de l'Histoire ?

 

Encore une fois c'est l'uchronie littéraire qui parle le mieux d'Histoire. Dans les quelques films d'uchronie on observe qu'ils portent une perception traditionnelle de l'histoire, celle des grands hommes et des événement fondateurs (l'Histoire de Louis Seignobos et Ernest Lavisse et non celle de Lucien Febvre et Marc Bloch) car le point de divergence est très souvent lié à la vie/mort d'un homme ou à la victoire/défaite lors d'une bataille. Le plus souvent ce sera l'action d'un homme ou d'un petit groupe qui engagera le basculement historique... mais, la plupart du temps, sans que le cours de l'Histoire ne soit altéré :

  • dans Nimitz, retour vers l'enfer (Don Taylor, 1980) une tempête électromagnétique envoie le porte-avion nucléaire Nimitz en 1941, à la veille de l'attaque japonaise sur Pearl Harbor : dilemme, intervenir ou laisser le cours de l'histoire se poursuivre ? Par un artifice scénaristique l'attaque ne sera pas empêchée ;
  • dans Les guerriers de l'Apocalypse (Kosei Saito, 1979 ; un remake suivra en 2005, sous le titre Samurai Commando : Mission 1549 de Masaaki Tezuka) un détachement de l’armée japonaise se retrouve plus de 400 ans en arrière, au cœur des affrontements entre seigneurs de guerre. Dans l'espoir de revenir à leur époque ces soldats vont prendre le parti du camp historiquement perdant afin de créer un paradoxe temporel... Le film résout le possible paradoxe par l'échec des soldats du XX° siècle face aux samouraïs du XVI° siècle ;
  • dans Philadelphia Experiment II (Stephen Cornwell, 1993) la tentative du professeur Mailer (Gerrit Graham) d'aider la victoire nazie en 1943 avec une bombe atomique avorte (heureusement !) ;

 

Conclusion

L'uchronie reste un genre avant tout littéraire. Lorsque le cinéma de Sf s'en empare, c'est quasiment toujours pour réparer et renouer avec la trame Historique 'vraie'. En fait le cinéma de Sf préfère nettement construire des futurs divers et multiples plutôt que faire diverger durablement le passé... Dont acte !

 

 

 

Conclusion générale

 

Au terme de ce voyage dans le voyage dans le temps (sic !) que reste-il ?

  • d'abord une thématique fascinante et très cinégénique au croisement de notre imaginaire et de notre mémoire : remonter dans le passé fait appel à la connivence du spectateur qui connait et/ou fantasme ledit passé ; avancer dans le futur s'appuie sur notre irrépréssible curiosité pour "ce qui va arriver" ;
  • ensuite une grande leçon de science "dure" ou comment aborder la physique quantique, la relativité générale ou la théorie des cordes sans barber ou perdre son auditoire (merci la "suspension consentie d'incrédulité" !) ;
  • enfin une réflexion à la fois philosophique (sur le destin et le libre-arbitre par exemple), théologique (la fin des temps ?) et historique (par exemple sur ce que les anglo-saxon appellent le 'What if ?' , que ce serait-il passé si...)

Pour finir,  n'oublions pas que le cinéma en lui-même est une machine à monter et remonter le temps : ce que montre un film du futur est, à un moment ou un autre, devenu le présent, voire le passé du spectateur... Fascinant non ?