(1) Monstre vient de monstrare en latin qui siginife montrer : le monstre crée la répulsion par ce que l'on en voit... mais aussi, paradoxalement, il suscite l’envie irrépressible de regarder.
(2) En japonais Godzilla c'est Gojira, une contraction de 2 termes signifiant littéralement « baleine gorille » ; c'est le 1er « film de monstre » ou kaiju-eiga.
(3) Le film sortira en 1956 dans ce pays avec un montage spécifique destiné à ménager le public américain : le rôle du journaliste américain joué par Raymond /Perry Mason / Burr – est valorisé tandis que certaines scènes sur les essais nucléaires furent coupées.
(4) Cela reflète aussi le dilemme du président Truman sur l'usage de l'arme atomique sur le Japon : d'un coté les destructions et la mort de masse, de l'autre coté la certitude d'écourter la guerre et sauver des vies, américaines et japonaises.
(5) C'est aussi en partie dû au choix des maquettes et acteurs costumés qui a prévalu longtemps alors que le stop motion dominait les effets spéciaux, Ray Harryausen en tête.
L'affiche japonaise de 1954
Le réalisateur Ishiro Honda
(7) Ils ont comparé l'évolution de la taille du monstre et celle des dépenses militaires américaines dans un seconde degré assez réjouissant !
(8) Pour la 1ère fois en 1992 les FJA interveiienet hors du Japon (comme casques bleus au Cambodge. En 2004 elles interviendront en zones de combat en Irak.
(9) Dans le film un discours pseudo-scientifique explique qu'une machine extraterrestre peut projeter instantanément de la matière solide prenant n'importe quelle forme que l'inconscient de Morbius ferait naître. Le capitaine du vaisseau (Leslie Nielsen) concluant son explication par cette phrase « La création par une simple pensée ! ».
(10) N'oublions pas qu'à cette époque aux Etats-Unis le conservatisme domine – voire même le puritanisme – et que de facto le monstre incarne un chaos insupportable qu'il faut éliminer en tant que menace extérieure mais également menace intérieure, le « mauvais moi ».
(11) Dans cet état la ville de Los Alamos fut l'épicentre de la recherche nucléaire américaine dans les années 40-50.
-Lorsque la SF aborde le thème de l'Autre elle traite, en fait, de l'homme lui-même : les spécificités de l'espèce humaine, les questions de communication et d'incommunication, les rapports au divin, etc. Les descriptions de l'Autre dressent, de fait, en négatif, un portrait de l'homme dans ses rapports à l'étranger. Bien avant la naissance proprement dite de la SF et son âge classique les récits mythologiques et littéraires avaient abordé le sujet : Prométhée le voleur de feu chez Esiode ou Eschyle ; Micromégas, le géant Sirien de Voltaire (1752) ; l'andreide (sic!) de L'Eve future de Villiers de L'Isle-Adam (1886) ; le Golem de l'écrivain Gustav Meyrink en (1915) ; etc.
L'Autre dans la science-fiction c'est d'abord l'extraterrestre, ce grand révélateur de nous même, de nos craintes, de nos peurs, de nos espoirs aussi. Au cinéma cela débute par les Sélénites de Georges Mélies (Le voyage dans la Lune, 1904), les premiers d'une longue série d'extraterrestres mythiques... L'Autre peut aussi être le produit de l'évolution (du moins une évolution fantasmée), soit des formes de vie terrestres soit de l'homme lui-même, devenant plus qu'humain (Les plus qu'humains très beau roman de Théodore Sturgeon, 1953), le plus souvent par la science ou par accident. L'Autre enfin c'est la Machine qui place l'homme devant sa création et pose les questions de la relation au divin et de la définition et des limites de l'humanité.
Dans tous les cas aborder l'Autre permet d'interroger l'homme et les société dans leurs réactions devant la différence : ouverture et tolérance ou fermeture, hostilité et crainte ? Au fond, l’Autre est-il une menace ou un apport ?
Devant l'ampleur de la tâche et l'abondance des sources et des références nous traiterons ce sujet en 4 articles successifs :
« Les monstres sont le bruit de fond de la nature humaine »
Michel Foucault (source)
Pour clore ce cycle d'articles consacrés à la figure de l'Autre dans le cinéma de science-fiction nous traiterons du monstre et de la monstruosité. En fait ce sera une sorte de synthèse des 3 précédents articles car, soyons clair, l'extraterrestre, la machine, le cyborg, le mutant ou le posthumain ont bien souvent été dépeints sous l'angle de la monstruosité. Ce thème relève surtout du cinéma d'horreur et/ou du cinéma fantastique : ainsi, classés en films de science-fiction, Alien ou Predator peuvent être catalogués comme des films d’horreur dans un contexte de science-fiction (hybridation des genres). Nombre de films de SF, mettant en scène des monstres, utilisent les ressorts de l'horreur comme, par exemple, le huit-clôt ou le schéma de la traque ; etc. (en savoir plus se reporter aux articles de la Wikipedia sur le film d'horreur et sur le cinéma fantastique).
Mais la Sf est un genre connu pour son importante production de monstres, qui, s'ils suscitent peur, horreur ou révulsion, n'en sont pas moins des révélateurs de nous même(1) et de notre rapport aux autres... en l’occurrence cet autre sera essentiellement le « monstre venu de l'espace ». Nous verrons que le monstre métaphorise nos peurs et qu'il est cet Autre qui dérange.
Note : beaucoup de redondances, dans cet article, avec celui sur les extraterrestres et celui sur les mutants... par avance acceptez mes excuses.
Le monstre fonctionne comme un élément qui structure notre imaginaire, et cela le cinéma de Sf l'a bien compris en créant quelques uns des plus célèbres monstres de fiction. Au même titre qu'avec le cinéma d'horreur on s'amusera à se faire peur... mais le monstre va bien au delà puisqu'il exprime aussi les peurs et les angoisses collectivs propres à chaque époque.
A- Etude de cas : Godzilla
Entre 1954 et 2021 plus de trente films mettant en scène Godzilla furent tournés (c'est moins que pour Frankenstein mais plus qu'Alien et King-Kong réunis). Comment passe-t-on du Kaiju en latex à un mythe, japonais et mondial ? Que nous dit Godzilla de son/ses époque(s) ?
(12) Cette analyse de The Thing est abondamment développée dans la thèse de Frédérique Ballion La représentation de l’ennemi dans le cinéma étasunien de l’après-guerre à la chute du Mur de Berlin, aux pages 246 à 287. Se reporter à la bibliographie.
(14) A rattacher au mythe antique de la Némésis : Hulk étant le courroux divin s'abattant sur un Banner dévoré d'Ubris ?
(15) Se reporter à l'article sur les Etats-Unis au miroir de son cinéma de Sf et l'article sur Mutants et mutations et celui sur les extraterrestres
(16) Se reporter à l'article sur les extraterrestres, dans lequel nous avons développé l'analyse du film de Neill Blomkamp.
Jean Bouis est Tournesol
Spencer Tracy est Hyde
Colin Clive est Fra,kenstein
Burt Lancaster est Moreau
1) 1954, Godzilla et le traumatisme d'Hiroshima
Godzilla(2) est sorti sur les écrans en 1954. Son réalisateur, Ishiro Honda (1911-1993) a 43 ans ; il a connu l'expérience de la guerre contre les Etats-Unis.
Ce film parle du traumatisme nucléaire post-Hiroshima, sujet bien connu, mais il exprime le point de vue des japonais et s'adresse avant tout aux japonais. Ainsi sa genèse puise directement dans l'histoire récente de ce pays avec 3 dates-clefs :
Lire : ouvrages généraux sur la Sf et le cinéma de Sf
ANDREVON, Jean-Pierre. 100 ans et plus de cinéma fantastique et de science-fiction. Rouge profond, 2013.
BILLARD, Claude. Le cinéma de science-fiction. CinémAction n° 68, 1993.
BOUYXOU, Jean-Pierre. La Science-fiction au cinéma. Collection 10/18. 1971.
CAMERON, James. Histoire de la science-fiction. Mana Book. 2019.
CHION, Michel. Les films de science-fiction. Cahiers du cinéma. 13/11/2008.
DUFOUR, Éric. Le Cinéma de science-fiction : Histoire et philosophie. Armand Colin, 2011.
LAFOND, Franck. Dictionnaire du cinéma fantastique et de science-fiction. Editions Vendémiaire. 2014.
LE POINT Pop culture. Les chefs-d'œuvre de la science-fiction. Hors-série 2018. Lire.
PENSO Gilles. Encyclopédie du cinéma fantastique. Lire. A noter les fiches thématiques.
VERSIN, Pierre. Encyclopédie de l'utopie, des voyages extraordinaires et de la science fiction. Lausanne, L'Age d'homme, 1972. Réédition 2000.
Lire : ouvrages et articles autour du monstre dans le cinéma de Sf
BALLION, Frédérique. La représentation de l’ennemi dans le cinéma étasunien : de l’après-guerre à la chute du Mur de Berlin. Thèse, U. Bordeaux, 2014. VOIR.
DUFOUR, Eric. Les monstres au cinéma. Armand Colin, 2009.
GUEDRON, Martial. Les monstres : créatures étranges et fantastiques, de la préhistoire à la science-fiction. Beaux-Arts éditions, octobre 2018. Un entretien avec l'auteur sur le blog Le paratonnerre. VOIR.
HOUGRON, Alexandre. Monstres d’ici et d’ailleurs : pourquoi notre imaginaire est un bestiaire ? Dans l'ouvrage Science-fiction et société. PUF, 2000.
LAPRÉVOTTE, Gilles, LUCIANI, Michel, MANGIN, Anne-Marie. La grande menace, le cinéma américain face au maccarthysme. Trois Cailloux, Amiens, 1990. En particulier l'article d'Anne-Marie MANGIN consacré aux films de monstres des années 50.
LEMIRE, Laurent. Monstres et monstruosités. Perrin, 2017
MARTIN, Jean-Clet. Ridley Scott. Philosophie du Monstrueux. Les Impressions Nouvelles, octobre 2019. Un entretien donné sur le blog Diacritik. VOIR. Une critique sur le blog Nonfiction. VOIR.
MAURO, Fabien. Kaiju, envahisseurs et apocalypse : L’Âge d’or de la science-fiction japonaise. Octobre 2020.
Sur le Web
Sur la WIKIPEDIA
Les films d'horreur : VOIR.
BREAN, Simon. L'humain, le monstre et l'alien, leçon du 3° type. Dans la série d'émission consacrée à l'Autre, les chemins de la philosophie d'Adèle Van Reeth, France-Culture. VOIR.
CLEMOT, Hugo. Le monstre dans la philosophie contemporaine de l’horreur cinématographique. In Monstres et monstruosités dans les représentations esthétiques et sociales. Revue Amerika, 11-2014. VOIR.
GICQUEL, Marie. Dracula, Frankenstein, Godzilla... Les monstres reviennent en force, et ils en disent long sur nous. Blog du magazine 20 minues, 2019. VOIR.
HOUGRON, Alexandre. La figure du Monstre dans la littérature. Site de l'académie de Versailles. VOIR. (pdf) ou VOIR (html).
MOISEEFF, Marika. La Procréation dans les mythes contemporains : une histoire de science-fiction. Anthropologie et sociétés, Université Laval, 2005. VOIR.
MAUDUIT, Xavier. Le cours de l'histoire, L'histoire sur grand écran, épisode 3, âges sombres et salles obscures. ECOUTER.
PEYREL, Jérôme. Les codes du cinéma d'horreur. VOIR. https://laac-auvergnerhonealpes.org/wp-content/uploads/2017/04/Codes-du-film-dhorreur-J%C3%A9r%C3%B4me-Peyrel.pdf
RAGAZZINI, Jessica. L'influence des monstres littéraires sur le corps post-humain. Revue Meridian Critic, n°2-31, 2018. VOIR.
A propos de Godzilla
A propos de Hulk
A propos des films mentionnés
Them !
Alien
LOUISSEIZE, Caroline. Alien : création d’un monstre. Sur le blog Panorama Cinema. VOIR.
Planète interdite
La Mouche
The Quatermass X-periment
Men in black
District 9
Filmographies
La bande-annonce de 1954.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le film n'est pas un réquisitoire contre les Etats-Unis(3) même si on peut y voir une métaphore de la course aux armements qui, selon Honda, n'aboutira qu'à la destruction.
Fruit de l'atome, Godzilla incarne une nature vengeresse qui se retourne contre l'homme. Mais le film va plus loin et n'évite pas le questionnement moral associé à la menace nucléaire, particulièrement à travers les personnages de science. Ainsi, à l'image d'un Einstein des années 40 ou d'un Oppenheimer des années 50, le docteur Serizawa (Akihiko Hirata), créateur d'une arme ultime contre Godzilla, le « destructeur d’oxygène » s'interroge sur son potentiel destructeur futur. Tiraillé entre les environnementalistes pacifistes et les militaristes il choisira le sacrifice, seule voie assurant la destruction du monstre et de l'arme(4).
Enfin le film parle du Japon post-45 en évoquant :
2) Du film au mythe
Godzilla est entré dans la culture populaire niponne : après le film de 1954 on aura droit à une impressionnante série de films japonais dès 1955 avec Le retour de Godzilla de Motoyoshi Oda jusqu'à Godzilla : The Planet Eater de Kōbun Shizuno et Hiroyuki Seshita en 2018. La qualité du 1er film et l'avalanche de suites ont donné un caractère iconique à Godzilla surtout chez les jeunes japonais... ce qui explique son évolution vers un personnage plus ambigu, parfois destructeur, mais le plus souvent positif, défenseur du Japon (et de la Terre) face à une horde de nouveaux ennemis... Cette ambiguïté c'est aussi celle du Japon moderne, le seul pays à avoir souffert dans sa chair d'une attaque atomique... mais aussi l'un des plus dépendant du nucléaire pour sa sécurité énergétique (avant Fukushima le Japon était la 3° puissance mondiale pour le nucléaire civil).
Godzilla est aussi un objet de la pop culture mondiale (son étoile sur Hollywood boulevard en atteste !)... mais associée une vision plutôt nanardesque et/ou kitsch des films japonais(5). Le mythe est donc moins ancré qu'au Japon et il doit beaucoup aux 3 blockbusters américains signés Roland Emmerich (1998), Gareth Edwards (2014) et Michaël Dougherty (2019)... et un 4° est prévu pour 2021, Godzilla Vs Kong d'Adam Wingard.
A gauche, le Daigo Fukuryu Maru ; à droite paysages ravagés du film évoquant Hiroshima.
3) Godzilla : nouveaux monstres / nouvelles peurs
Deux chercheurs américains(6) ont étudié l'évolution de la taille de Godzilla tout au long de ses, presque, 70 ans d'apparition sur grand écran : des 50 mètres du début nous arrivons à plus de 120 mètres dans le film de Michael Dougherty. Pour eux, « Godzilla évolue en réponse à un pic d’anxiété collective de l’humanité »(7)... peut-être, mais cette gigantisation correspond avant tout aux lois du blockbuster, bien servie par les Fx !
L'étoile de Godzilla sur Hollywood Blvd - l'acteur Nakajima Naruo est Godzilla.
Fabien Mauro (cf. la bibliographie) a étudié l'évolution de Godzilla montrant comment ce mythe reflète les angoisses de chaque époque. Quatre exemples très parlants :
Conclusion
Si Godzilla n'est pas le 1er monstre géant du cinéma (par exemple King Kong apparaît en 1933 dans le film de Ernest B. Schoedsack et Merian C. Cooper) il est sans conteste l'un des plus célèbres. Derrière des films souvent perçus comme enfantins Godzilla métaphorise les peurs profondes, du Japon, mais pas que....
B- Le monstre métaphorise nos craintes et nos angoisses
Le monstre en général et le monstre dans la science-fiction en particulier, métaphorise les craintes, les peurs, les angoisses individuelles et collectives.
1) Le monstre de l'Id
En 1956 dans Planète interdite de Fred M. Wilcox,le monstre du professeur Morbius (Walter Pidgeon) sur Altaïr IV est issu de son ça freudien, son double diabolique(9). Ce « monstre » est métaphorique de tous les monstres produits par le cinéma de science-fiction : une projection de notre inconscient.
Si nous prenons la créature d'Alien le huitième passager (Ridley Scott, 1979) nous pouvons en faire une métaphore de bien de facettes de notre inconscient (le monstre en chacun de nous) :
2) Le monstre de nos peurs sociétales : le nucléaire
L'imaginaire de la Sf se nourrit des effets de la réalité sociale. Ainsi le monstre exprime une certaine défiance envers la science surtout dans les circonstances de la naissance de monstres. Aux Etats-Unis, dans les années post-deuxième guerre, une kyrielle de Monster Movies met en scène des animaux monstrueux de l'ère nucléaire(10), comme en 1954 (l'année de sortie de Godzilla) lorsque Gordon Douglas réalise Des Monstres Attaquent la Ville (Them !) dans lequel des fourmis géantes, issues d'essais nucléaires américains au Nouveau Mexique(11), ou encore en 1956 avec L'attaque des crabes géants de Roger Corman (1957), issus d'essais nucléaires dans le Pacifique.
Un super héro est très caractéristique de cette ère nucléaire, il s'agit de Hulk dont qui apparaît en 1962 (Stan Lee et Jack Kirby) puis en 1977 à la télévision et 2003 au cinéma (Hang Lee). Hulk exprime la colère et la peur de son époque face au nucléaire et, plus tard dans la série de films, la colère et la peur qu'il y a en chacun de nous.
3) The Thing : 2 analyses de la monstruosité
Le monstre ne reflète pas nos peurs de la même façon, selon les périodes et les points de vue. Prenons The Thing : ce monstre créé par John W. Campbell, en 1938, est porté à l’écran en 1951 par Christian Nyby et Howard Hawks puis en 1982 par John Carpenter. (un remake réalisé par Matthijs van Heijningen Jr. est sorti en 2011). Rappelons le pitch : dans une base scientifique isolée de la zone polaire un groupe de scientifiques affronte un monstre extraterrestre capable de reproduire à la perfection tout élément vivant). Les 2 films portent 2 regards sur la monstruosité :
Conclusion
Ainsi le monstre peut être perçu aussi comme un avertissement donné à l’humanité, un indicateur des peurs historiques. Parmi celles-ci la crainte vis à vis de la science est omniprésente, souvent incarnée par un personnage : le « savant fou ».
C) Monstre et science : le thème du « savant fou »
Le « savant fou » est à la fois un archétype (modèle) et un stéréotype (représentation caricaturale) du scientifique-chercheur. Le cinéma de Sf en a fait, après la littérature (Frankenstein de Mary Shelley en 1818 ; Docteur Jekyll et Mister Hyde de Robert-Louis Stevenson en 1886) ; L'île du docteur Moreau de H.G. Wells en 1896... pour ne citer que les plus dangereux mais également le professeur Tournesol de Hergé pour citer une figure plus sage et pacifique) un personnage qui incarne les dérives et les dangers de la science.
1) Le "savant fou", agent du chaos
Le monstre incarne le chaos face à l'ordre, or, en Sf, le chaos est souvent produit par le scientifique : de ce fait on passe des monstres de la mythologie que le héros combattait (Hercule et le lion de Némée ou l'hydre de Lerne) à des monstres issus de la science et de la technologie que le/les héros combatte(nt) afin de rétablir l'ordre du monde. Ce chaos en Sf peut être radical, avec extinction de l'espèce humaine (c'est le ressort des films de Zombis par exemple) ou sa semi-extinction (L'armée des 12 singes de Terry Gilliam en 1995 ou Je suis une légende de Francis Lawrence en 2007) ; le chaos s'incarne le plus souvent par la destruction (Godzilla, les dinosaures de Jurrasic Park, etc.).
2) Le "savant fou" et le mythe Prométhéen
Les 2 premiers « savant fous » au cinéma sont des adaptations littéraires : L'île du docteur Moreau, par Erle C. Kenton en 1932 et Frankenstein de James Whale en 1933. Elles créent les 2 figures du « savant fou » :
Le stéréotype du « savant fou » incarne donc le pouvoir de la science et son potentiel destructeur : nous sommes bien au cœur du mythe Prométhéen.
3) Monstre, science et violence sociale
Mais le savant fou est souvent épaulé et soutenu par un capitaliste/entrepreneur lui aussi présentant les 2 visages : le profiteur avide et l'entrepreneur visionnaire mais inconscient. La série de films Jurassic Park / Jurassic World regorge de ces figures : John Hammon (Richard Attenborrough) face à son neveu Peter Ludlow (Arliss Howard) dans Jurassic Park 2 (Steven Spielberg, 1997) ou encore Sir Benjamin Lockwood (James Cromwell) face à Eli Mills (Rafe Spall) dans Jurassic World : Fallen kingdom (Juan Antonio Bayona, 2018).
Dans les années 2000 la dénonciation des dérives de la science se double d'une mise en accusation du capitalisme et du complexe-militaro industriel (le cyberpunk est passé par là). La Sf met dès lors en scène des monstres pas toujours si monstrueux d'ailleurs permettant d'interroger l'humanité : qui est vraiment le monstre ? Exemples :
Conclusion
Ce monstre qui interroge la science est une star du cinéma de Sf (ou alors du cinéma d'horreur dans un contexte de science-fiction ?). L'humoriste américain Patton Oswalt l'a parfaitement expliqué en disant que "science sans conscience n'est certes que ruine de l'âme, mais surtout c'est bien plus rigolo !"(13).
Le monstre, s'il est un révélateur de ce que nous sommes, est également une figure de l'Altérité.
Au même titre que le mutant ou l'extraterrestre, le monstre (d'ailleurs souvent lui-même mutant ou extraterrestre) permet d'aborder la question ontologique de ce qu'est l'humanité ainsi que les rapports que ladite humanité entretient avec l'altérité. Ces rapports sont en fait une métaphore de notre perception de ce qui n'est pas comme nous, de ce qui nous dérange et qu'on a du mal à catégoriser ou identifier : le migrant syrien, l'hurluberlu du 3° gauche, le « simple d'esprit », etc. Comment le cinéma de SF a-t-il étudié/montré ces rapports ?
A) Etude de cas : Hulk
Allégorie du monstre qui est tapi en chacun de nous Hulk métaphorise également la complexité des relations que nous entretenons avec le monstre au travers du thème du double (Bruce/Hulk). Au grès des films le mettant en scène, de nombreux aspects de cette relation sont abordés. Analyse...
1) Le géant vert (pas celui du maïs !)
En mai 1962 les inévitables Stan Lee et Jack Kirby nous proposent la 1ère aventure de Hulk. Le succès n'est pas immédiat mais progressivement ce super-héros gagne en popularité, surtout après son adaptation à la télévision dès 1977 sous le titre L'incroyable Hulk (Kenneth Jonhson aux manettes et Bill Bixby / Lou Ferrigno dans le rôle titre). Au cinéma Ang Lee en 2003 puis Louis Leterrier en 2008 le mettront en scène (avec Eric Bana puis Edward Norton comme interprètes) avant que Hulk n'apparaissent de façon récurrente dans l'Univers Cinématographique Marvel pour 7 films, entre 2012 et 2019.
2) Un moderne Jekyll et Hide
Irradié accidentellement par sa propre invention (la bombe Gamma) le docteur Bruce Banner, quand il est sous l'emprise d'une forte colère, se transforme en un monstre surhumain : un géant de, selon les adaptations, 2.30 m à 4,50 m, doté d'une force inouïe, d'une peau d'un vert de jade et d'un corps auto-régénérant. L'histoire rejoint donc le mythe du double maléfique créé par Robert-Louis Stevenson en 1886 sous les traits du docteur Jekyll devenant le terrible Mister Hyde.
Les origines du monstre diffèrent. Dans les comics, Hulk nait d'une irradiation massive sur le site de l'essai de la bombe Gamma, angoisse du nucléaire des années 50-60 oblige. Avec Ang Lee l'angoisse s'étend à la science en général car cette irradiation se produit dans un laboratoire tandis qu'avec le film suivant de 2008, c'est la bioéthique qui est mise en question car dans ce film tout est une question d'ADN.
3) Hulk, définitivement humain
Hulk existe, d'une certaine façon, comme un rappel permanent de la mauvaise conscience de l'homme moderne. Le film de Louis Leterrier est sûrement le plus abouti sur ce sujet. Bruce (Edward Norton), réfugié en Amérique du Sud cherche obstinément (et sans succès) le moyen de détruire Hulk(14). Or il devra volontairement libérer Hulk pour affronter Blonski (Tim Roth) devenu l'Abomination, un double de Hulk, cette fois totalement maléfique.
Cette figure du Hulk sauvage domine les premiers films... et puis on découvre que Bruce cherche moins à éliminer Hulk qu'à le contrôler jusqu'à la fusion des 2 personnalités dans Avengers, End Game (Joe et Anthony Russo, 2019) et l'émergence d'un Hulk intelligent (le "smart Hulk").
En fait Hulk est définitivement humain car derrière la monstruosité physique les scénaristes (des comics et des films, surtout depuis que Marvel produit ses propres films, le fameux MCU) s'attachent à suggérer la part d'humanité, au travers des personnages féminins comme Betty Ross (Jennifer Connely puis Liv Tyler) dans les 2 premiers films et Natacha Romanoff (Scarlett Johansson) dans la série de films de l'Univers Cinématographique Marvel. De même Hulk détruit, brise, ravage... mais ne tue pas directement les humains comme cet extrait du premier film le montre :
Si vous comprenez l'anglais (en tout cas mieux que moi) voici une comparaison des 3 versions (1953 - 1982 - 2011). Durée : 7'40''.
Conclusion
Finalement Hulk n'est pas si monstrueux que ça ! Il s'avère même bien plus humain que beaucoup d'humains et la monstruosité n'a pas dissout l'humanité. Tout y est question de cohabitation !
B) La monstruosité est-elle perte d'humanité ?
Le monstre n’existe qu'au travers de la perception qu'en ont les hommes. D'une certaine façon le monstre sert à mesurer la normalité humaine. La Sf et son cinéma se sont donc beaucoup penchées sur les limites entre humanité et inhumanité au travers du monstre.
1) Le monstre animal dans le cinéma de Sf
A la suite d'une longue tradition littéraire la Sf a exploré le lien entre humanité et animalité. D'abord, et sans surprise, en s'inspirant du règne animal pour dépeindre la foultitude des monstres venus de l'espace et en introduisant dans leur description les codes (occidentaux s'entend) usuels. Typologie et exemples :
Rien de bien neuf... Par contre la Sf a poussé loin l'exploration de la régression vers l'animal, au travers de la mutation. Deux exemples :
2) La possession : quand la monstruosité dissout l'humanité... ou le contraire ?
Le thème de la possession (de l'invasion du corps et/ou de l'âme) a été traité sous 3 angles :
Souvent la possession signifie la destruction de l'hôte, donc, métaphoriquement la défaite de l'humanité (y compris lorsque le monstre est finalement vaincu puisque que l'hôte est mort avec) mais il est fréquent que la lutte contre le monstre soit une lutte interne, dans laquelle la part d'humanité triomphe de la part inhumaine.
A- Vivre contre / avec / aux cotés du monstre
Dans 3 films (voir série de films) la question de la relation à l'extraterrestre perçu comme monstrueux est posée... avec 3 réponses différents. Analyse...
1) Alien : (sur)vivre contre le monstre
Ridley Scott a totalement renouvelé le genre du monstre extraterrestre exterminateur. Ce dernier fut la figure dominante de la Sf des années 40-60 : le monstre venu d'ailleurs est l'ennemi, point ! On l'a déjà beaucoup analysé en relation avec les contextes de guerre froide et de puritanisme des Etats-Unis de cette époque... mais aussi du cinéma de blockbusters avant et surtout après le 11 septembre (pensons aux films de Roland Emmerich)(15).
2) Men in Black : vivre avec les monstres extraterrestres
Men in Black est un film de Barry Sonnenfeld sorti en 1997. Il est l'adaptation cinématographique du comics éponyme créé par Lowell Cunningham en 1990 ; il s'empare du folklore ufologique (parfois conspirationniste) pour en inverser les codes.. Une franchise de 3 films du même réalisateur (Men in Black 2 en 2002, Men in Black 3 en 2012) et un spin-off réalisé par F. Gary Gray (Men in Black International en 2019). Ici la monstruosité des aliens se trouve dans leur apparence mais nous n'éprouvons ni répulsion ni peur parce qu'ils vivent parmi les hommes, du moins les hommes informés, les Men in Black (voire ils sont devenus des hommes comme Elvis Presley ou Michael Jackson). Les aliens du film sont bizarres mais sympathiques et quand ils sont censés être les méchants, la charge comique du film les rend finalement très peu « féroces » (comme le cafard géant qui s'empare du corps du fermier Edgar).
La bande-annonce du film de Val Guest.
La monstruosité perd donc sa charge horrifique (typique des films d'animation de Disney ou Pixar, comme Monstres et compagnie de Pete Docter en 2002) et se dilue dans la drôlerie. Mais la cohabitation développée dans Men in Black, après celles des univers Star Wars et Star Trek relève avant tout de l'acculturation : l'extraterrestre n'est plus monstrueux dans la mesure où il agit et réagit comme un humain !
3) Dictrict 9 : vivre à coté du monstre(16)
Neill Blomkamp, en 2009, transforme le rapport de l’humanité au monstre : il ne s'agit plus de l'affronter ou de cohabiter avec lui, il est question ici de ségrégation, d'un vivre à coté du monstre en le marginalisant. Parqués dans un ghetto les monstres extraterrestres sont traités comme une espèce animale, dans une approche spéciste (on les affuble du sobriquet de « crevettes »). Ils incarnent les populations déclassées des ghettos sud-africains.
Conclusion
Dans une astucieuse nouvelle de 1948, Alfred E. Van Vogh brouille les cartes de la monstruosité. Les Ganas débarquent sur une Terre désertée. Ils entreprennent de ramener à la vie 3 'spécimens' de l'espèce éteinte pour comprendre les causes de l'extinction. Après un court interrogatoire ils éliminent froidement les 2 premiers mais le 3°, doté de pouvoirs impressionnants résiste à toute destruction et prend place dans le vaisseau ramenant les Ganas sur leur monde originel. Pour éviter que ce monde soit envahi et détruit par ce monstre ils décident d'un suicide collectif en projetant leur vaisseau dans l'étoile la plus proche... Cette inversion d'une situation connue en Sf illustre au fond ce que cet article nous apporte : ne nous arrétons pas aux monstres hideux venus d'outre espace, la monstruosité est aussi complexe et polysémique en Sf que dans le reste de la littérature ou du cinéma (de genre ou pas).
Conclusion générale
De façon générale en abordant le thème de l'Altérité dans le cinéma de Sf, au travers de 4 des plus célèbres thèmes du genre (l'extraterrestre, le posthumain, la machine et le monstre) nous avons vu qu'au travers de l'Autre :
Le cinéma de science-fiction est bien le thermomètre de son époque ainsi qu'un 'lanceur d'alerte... Mais on ne rappellera jamais assez que c'est avant tout un spectacle et un produit culturel... alors, que la fête commence !
Les Worm Guys de Men in Black.