LA SF A-T-ELLE OUBLIE L'UTOPIE ?

 

« Il n'y a pas plus ennuyeux que l'utopie »

Philippe Curval (entretien avec Jean-Michel Royer en mars 1983)

 

 

Introduction

 

Les écrans sont envahis par les dystopies, la collapsologie a le vent en poupe et les heures de l'humanité sont comptées : la Sf et son cinéma semblent atteints du syndrome 'Black Miror', incapables d'inventer des futurs désirables !

Cela n'a pas toujours été le cas : pensons aux Voyages extraordinaires de Jules Verne, au rêve socialiste d'Aelita ou encore à la fédération des Planêtes Unies de Star Trek... l'utopie et les futurs optimistes ont bien eu leurs moments !

Le terme d'utopie est polysémique, décliné sous les formes d'utopie, utopie négative / positive, eutopie, para-utopie, anti-utopie, dystopie, etc ! Pour simplifier et clarifier le propos de cet article nous garderons le sens dans lequel utopie désigne une vision positive, même critique, par opposition à la dystopie fondé sur une vision utopique négative. Mais l'on conservera à l'esprit ce qu'écrit, Ariel Kyriou (Dans les imaginaires du futur. Edition des Trois Souahits, 2020) : « L’utopie, c’est un ailleurs, une projection, et la dystopie n’est pas le contraire de l’utopie mais son ombre ».

Nous verrons d'abord que l'utopie est un maillon faible du cinéma de Sf, que les régimes totalitaires ont eu leur cinéma de Sf pour porter la vision idéologique du régime et nous terminerons en recherchant dans la dystopie les traces d'utopie.

(1) Même si l'action se déroule dans l'univers, les lieux et le temps sont bien identifiés : par exemple c'est en 2259, à Londres et San Francisco, que se déroule une partie de l'action de Star Trek into darknesse (JJ Abrams, 2013

(2) Voici l'extrait le plus significatif : « Mais je vous dis que nous sommes devant une Nouvelle Frontière [...], que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière, s'étendent les domaines inexplorés de la science et de l'espace, des problèmes non résolus de paix et de guerre, des poches d'ignorance et de préjugés non encore réduites, et les questions laissées sans réponse de la pauvreté et des surplus

Un peu de vocabulaire

 

 

Utopie (utopie critique) : Construction imaginaire et rigoureuse d'une société, qui constitue, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un contre-idéal. (Larousse). Ce recours à la fiction permet de prendre ses distances par rapport au présent pour mieux le relativiser, décrire ce qui pourrait être dans une perspective critique. (Wikipedia)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dystopie (ou contre-utopie) : Description, au moyen d'une fiction, d'un univers déshumanisé et totalitaire (Larousse). Il s'agit du double inversé de l’utopie, délivrant l’image d’une société de cauchemar là où l’utopie faisait le tableau d’une société de rêve. (C. Godin, philosophe).

 

1- Un univers ounusien

 

Star Trek met en scène une humanité qui découvre et explore, sans conquête ni rapport de domination. En 1966, le programme spatial américain est largement avancé (la NASA a été fondée en 1958) pour rattraper le retard sur les Russes. En reprenant le mythe fondateur de la Frontière, glorifié par le Western, le président américain démocrate John Fitzgerald Kennedy dans son discours du 15 juillet 1960 avait lancé l'expression La Nouvelle Fontière(2) qui s'applique parfaitement bien à la saga Star Trek.

La charte de la Fédération des Planètes Unies est calquée sur celle de l'ONU. Il y est écrit : « Nous, les formes de vies de la Fédération des planètes unies, déterminées à épargner aux générations futures le fléau de la guerre, réaffirmons notre attachement aux droits fondamentaux des êtres dotés de conscience .../... ». C'est à mettre en regard avec la charte onusienne : « Nous, peuples des Nations unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre .../.. ». Le principe de non-ingérence est également commun : la Directive Première affirme que nul n’a le droit de s’immiscer dans les affaires des civilisations rencontrées(3). Mais dans certains épisodes de The Next-Génération ainsi que dans Star Trek IX, Insurrection (Jonathan Fraques, 1998) la question de l'ingérence se pose(4).

BIBLIOGRAPHIE - WEBOGRAPHIE

 

 

LIRE : ouvrages et articles


BOUCHARD, Guy. Les 42 210 uni­vers de la science-fiction. Edi­tion Le Pas­seur, 1993 : VOIR un compte-rendu de lecture.


BOUCHET, Thomas. Utopie. Editions Anamosa, 2021. A propos du livre écouter La Grande table idées (Olivia Gesbert) sur France Culture : De nouvelles utopies peuvent-elles émerger ? ECOUTER.
 

DUFOUR, Eric. Le cinéma de science-fiction. Armand Colin, 2011.

 

DUREAU, Yona (dir). CinémAction n°115 – Utopie et cinéma. Corlet éditions. En particulier : Le cinéma de science-fiction américain ou l’anti-utopie par Danièle André et A la recherche du sens perdu : l’exemple de Blade Runner par Isabelle Labrouillère.


JAMESON, Fredric. Archéologie du futur. Tomes 1 et 2. Max Milo, 2007 et 2008 : VOIR.

HARTOG, François. Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps. Seuil, 2003.

 

KYRIOU, Ariel. Dans les imaginaires du futur. Edition des Trois Souahits, 2020. Un compte-rendu de lecture sur le site Usbek&Rica par Blaise Meo : VOIR.


KLEIN, Gérard. Pour lire Verne. Magazine Fiction, n° 197 et n° 198, mai et juin 1976. Sur le site Quarante-Deux : VOIR.
 

MAGRIN-CHAGNOLLEAU. Futurs Utopiques et Dystopiques : Fiction et Évolution. C.N.R.S. Laboratoire PRISM - UMR 7061 : VOIR.

 

PLATINI, Vincent. Lire, s'évader, résister : essai sur la culture de masse sous le IIIe Reich. Editions La Découverte, 2015. Un compte-rendu de lecture sur Slate : VOIR.

 

RANNOU, Pierre. L’utopie de demain. Sur le site de l'ESSE : VOIR.


RUMPALA, Yannick. Hors des décombres du monde : écologie, science-fiction et éthique du futur. Champ Vallon, 2018 : VOIR.

 

RUMPALA, Yannick. Cyberpunk's Not Dead. Laboratoire d’un futur entre technocapitalisme et post-humanité. Le Belial, 2021.

 

 

 

SUR LE WEB

 

  • En vrac

 

ANTHONY, Michel. Cinéma et utopies. Site de la CNT  : VOIR.

 

AUDETAT, Marc. Transition, utopie et science-fiction : construire demain dès maintenant. UNIL : VOIR.

 

CARABEDIAN, Alice et LOPEZ, Fanny. Retrouver le souffle de l'utopie sur les chemins de la Sf. Article du Moniteur : VOIR.

 

 

CADIO, Soizic. L'utopie en science-fiction. Sur le site de la Bpi : VOIR. (Le PDF).

FITTING, Peter. Utopies/Dystopie/Science-fiction : l’interaction de la fiction et du réel. Revue Alliage, n°60, Juin 2007 : Que prouve la science-fiction ? Volume II, Science fiction et politique : le prisme des utopies : VOIR.


GOUJON, Valentin. Utopie, dystopie et science-fiction : Quand le futur devient politique. Sur le blog LVSL : VOIR.


LANGLET, Irene. Cli-fi & Sci-fi, Littératures de genre et crise climatique. Sur le site Laviedesidées : VOIR.

 

MENEGHIN, Lionel. Repartir de zéro : la nouvelle utopie de la science-fiction. Sur Usbek&Rica : VOIR.


MERJAGNAN, Norbert. Black Mirror : la SF cauchemarde le monde parce qu’elle sait que le bonheur est possible. Sur Usbek&Rica  : VOIR.


RUMPALA, Tannick. La science-fiction expérimente les conditions de la vie en commun. Sur Usbek&Rica : VOIR.


RUMPALA, Yannick. Entre imaginaire écotechnique et orientations utopiques. La science-fiction comme espace et modalité de reconstruction utopique du devenir planétaire. Revue Quaderni, n°92, 2017 : VOIR.

 

Les podacst d'Usbek&Rica par VIDAL, Julien : 2030 Glorieuses : ECOUTER.


Utopie et Science-fiction : un pléonasme ? Table ronde avec Catherine Dufour, Medhi Achouche, Matt Suddain, Clément Bouhelier et Philippe Curval. Les Intergalactiques 2017 : REGARDER.


L'exposition virtuelle Utopie sur le site de la BNF : VOIR.

 

L’utopie de représenter la ville du futur. Sur le blog Grapheine : VOIR.


Un article sur Les exosquelettes dans Pour la Science : VOIR.

 

 

  • La Sf en régimes totalitaires


RODRIGUEZ-NOGEIRA, François. La société totalitaire dans le récit d’anticipation dystopique, de la première moitié du XXè siècle, et sa représentation au cinéma. Thèse de doctorat, Université Nancy-2, 2018 : VOIR.

 

L'invasion vent de Marx ! Festivale des Utopiales 2006, : VOIR.

 

La Chine


GAFFRIC, Gwennaël. Histoire et enjeux de la science-fiction sinophone. Monde chinois, vol. 51-52, no. 3-4, 2017, pp. 6-16 : VOIR.

 

GAFFRIC, Gwennaël. La trilogie des Trois corps de Liu Cixin et le statut de la science-fiction en Chine contemporaine. ReS Futurae [Online], 9 | 2017 : VOIR.


POUGET, Elise. L'Essor de la Science-fiction chinoise. Sur le blog Lepetitjournal : VOIR.

 

Fascisme et nazisme

 

POLEVRINI, Léa. SF totalitaire : quand fascisme, nazisme et stalinisme étaient des utopies. Sur Slate.fr : VOIR.


POLEVERINI, Léa. La science-fiction chinoise est-elle au service du pouvoir ? Sur Slate.fr : VOIR.

 

L'URSS

 

La science-fiction de Pavel Klushantsev sur le blog Les échos d'Altaïr : VOIR.

 

MAJSOVA, Natalija. Le cinéma de science-fiction soviétique et américain des années 1950 et 1960. Emission de la radio Québequoise, avec une période de questions en direct. ECOUTER.
 

Filmographies de Sf russe :

Sur la Wikipedia : VOIR.
Sur Cinetrafic : VOIR.

Sur le site Russia Beyond : VOIR.

 

 

 

  • Solarpunk, hopepunk et Sf d'utopie critique

 

Garanti sans Blach Mirror, et si la science-fiction réhabilitait l’utopie ? Rencontre entre entre MAZAURIC, Marion (fondatrice de la maison d’édition Au Diable Vauvert) et BORDAGE, Pierre (auteur de Sf) sur Useb&Rica (animation Guillaume LEDIT) : VOIR.

 

Envies d'utopie. Ouvrage collectif. Les moutons électriques, 2008.


CARABEDIAN, Alice et LOPEZ, Fanny. Retrouver le souffle utopique sur les chemins de la Sf. Article du Moniteur : VOIR.


THEVENET , Elise. Quand la science-fiction abandonne les récits de fin du monde pour un optimisme subversif. Le Monde, juin 2020 : VOIR.

 

A propos du hopepunk sur le blog Feuillesdevelours : VOIR.

 

La fiche Wikipedia sur le Solarpunk : VOIR.

 

Une analyse du mouvement Bright Miror sur le site bluenove : VOIR.

 

Le site du collectif Zanzibar : VOIR.

 

 

 

A PROPOS DES FILMS CITES

 

  • Aelita

COSTA DE BEAUREGARD, Raphaëlle. Aelita : la science-fiction à l’écran en question. ReS Futurae, 2020, VOIR.
La fiche du film sur Sfstory : VOIR.

La fiche Wikipedia : VOIR.

FLECHERE, Paul. Une analyse du film sur Dvdclassik : VOIR.

Une analyse du film sur Sfstory : VOIR.
L'article NEP de la Wikipedia : VOIR.

 

  • A la poursuite de demain

Une critique de Cécile MURY dans Télérama. VOIR.

Une critique de Jean-Sébastien CHAUVIN dans Les cahiers du cinéma : VOIR.

Une critique par Geoffrey CRETE sur Ecran large : VOIR.

Le Futur n’est plus ce qu’il était… à un film près ! Un article sur le film sur un blog de fan : VOIR.

 

  • Clones

La fiche Wikipedia : VOIR.

Une analyse sur Critikat : VOIR.
CERQUI, Daniela. Utopie-Dystopie : Clones. UNIL : REGARDER.

 

  • De la Terre à la Lune

Une critique sur le blog Forum-Sanctuary : VOIR.

 

  • Ealomea

Ealomea, article sur le blog Palabres éclectiques : VOIR.

 

  • L'étoile du silence

FERENCZI, Aurélien. Une critique dans Télérama : VOIR.

LANOYE, Mickaël. Une critique sur le blog Critique-flim : VOIR.

BLAVIER, Loïc. Une critique sur le blog Tortillapolis : VOIR.

 

  • The Island

SOTINEL, Thomas. Une critique sur le site du Monde. VOIR.

CRETE, Geoffrey. Une analyse sur Ecranlarge : VOIR.

La fiche Wikipedia : VOIR.

 

  • Kin-Dza-Dza !

DELVAUX, Philippe. Une critique du film sur le blog Sueursfroides : VOIR.

 

  • Mars (Pavel Klushantsev)

Un article sur le blog Gotomars : VOIR.

 

  • Nebo Zovyot

FORTIER, Rénald. Nebo zovyot et Battle Beyond the Sun; ou, Pourquoi, oh pourquoi des Américains ont-ils bousillé un très bon film de science-fiction soviétique ? Sur le blog Ingénium : VOIR I - II.

La fiche Wikipedia : VOIR. https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Appel_du_ciel

Une analyse sur le blog Forum Sanctuary : VOIR.

 

  • Révolution Interplanètaire.

Le film et une analyse sur Openculture (eng) : VOIR.

Une analyse sur le site MarsMovies : VOIR.

 

  • Star Trek

MEMON, Ahmed. Star Trek’s United Federation of Planets: a far-future League of Nations ? VOIR.
BRUNNER, Vincent. Depuis cinquante ans, les Trekkies avaient raison (et la France tristement tort !). Sur Slate.fr : VOIR.

STEINL, Johannes. A post-colonial approach to Science Fiction - Narrations of Imperialism within "Star Trek". Université de Francfort. 2010.

PALEN, Marc-William et HERRMANN, Rachel. To boldly go! : Adventure and Empire in Star Trek. Dans SF et Empire sur le blog The Imperial & Global Forum de l'Université d'Exeter VOIR.

CORCOS, Léo. Retour sur la saga Star Trek. Sur le blog Smallthings : VOIR.

 

  • La vie future

Une analyse sur un blog de cinéphilie : VOIR.

 

  • Le voyage cosmique

Le film complet : REGARDER.

METTAVANT, Claude. Une analyse complète du film sur son blog : VOIR.

La fiche du film sur le site Kinoglaz : VOIR.
ALGISI, Jean-Luc. Une analyse sur Kinoglaz : VOIR.

 

  • The wandering earth

RIAUX, Simon : une critique sur Ecranlarge : VOIR.

RIEUX, Nicolas. Une critique sur Mondociné : VOIR.

JOUAN, Romaric. Une critique sur Lemagduciné : VOIR.

La fiche wikipedia : VOIR.

The Wandering Earth, le film chinois qui sauve la Terre. Le Monde : VOIR.

Jules Verne - Dela Terre à la Lune -

Yhomas More - l'Utopie -

 

B) Du cinéma Vernien aux utopies contemporaines


 

Des tous premiers films de Georges Mélies aux rares productions contemporaines, en passant par la saga Star Trek, le cinéma de Sf utopique existe mais est resté à la fois très minoritaire et « rongé » par la dystopie. Brossons rapidement un portrait de ce type de films et intéressons-nous à 2 thèmes propices à l'utopie : l'exploration spatiale et la rencontre avec l'extraterrestre...


 

1- Petite histoire du cinema de Sf utopique

 

Dès ses débuts (1895), le cinéma met en scène des utopies sur le modèle Vernien : des cité idéales pacifistes ; une Humanité régénérée par la science ; des héros positifs exprimant le génie humain ; une idéologie libérale triomphante ; etc. Mais ne nous y trompons pas, Jules Verne lui-même a fait émerger  des héros sombres comme Robur ou Nemo et bien souvent les grandes inventions technologiques des romans verniens sont détruites, à l'image du Nautilus ou de l'Albatros) le cinéma utopique des débuts portent également une part sombre dystopique. Prenons le film de William Cameron Menziès, La vie future (1936, tiré du roman de H.G. Wells de 1933 The shape of things to come) : le récit part d'une (prophétique) guerre totale, suivie d'une période d'obscurantisme médiéval pour reconstruire une société idéale sous la direction bienveillante des hommes de science. A la fin du film une révolte contre la science est étouffée... par des sorte de policiers-miliciens bien inquiétants ! Ce film illustre un courant important du début du XX° siècle, l'idée que la science est le moteur du futur idéal.

Malgré tout, dès les années 30 romans et films de Sf contiennent une large part de pessimisme qui deviendra la norme après la guerre. Les années 60-70 voient resurgir l'utopie (en lien avec l'ambiance révolutionnaire, le flower power et autres courants contestataires) sous la plume, par exemple, d'Ursula K. Le Guin (Les dépossédés, 1974) ; le cinéma s'en fera l'écho avec quelques grands films comme 2001 L'Odyssée de l'espace (Stanley Kubrick, 1968) ou Rencontre du 3° type (Steven Spielberg, 1977)... Mais dans les 2 cas; littérature et cinéma, c'est une utopie critique qui est mise en scène (nous le verrons dans les parties suivantes).

Actuellement (depuis 2000) les films de Sf optimistes se comptent sur les doigts d'une main, je pense à Her de Spike Jonze (2013) présentant un Los Angeles futuriste mais agréable et esthétiquement séduisant et A la pousuite de demain de Brad Bird (2015). Ce dernier film est très symptomatique de l'époque car son échec (critique et public) peut s'expliquer par ses faiblesses internes certes mais surtout par l'incongruité d'un film résolument optimiste et féérique dans une période où dominent noirceur et cynisme. Voici 2 extraits de critiques très opposées ou très complémentaires (au choix) :

  • « Entre merveilleux et science-fiction, Brad Bird (l'homme qui nous offrit Les Indestructibles et Ratatouille) se moque des films d'apocalypse, en vogue aujourd'hui, et propose à la place, non sans humour, un optimisme gentiment rétro : le futurisme toc et pimpant des sixties » pour Cécile Mury dans Télérama ;
  • « Un outil de propagande sur le bonheur autoritairement vendu par la firme aux grandes oreilles. (…) Au milieu de ce bonheur sinistre, le grand perdant, c’est l’enfance » pour Jean-Sébastien Chauvin dans Les cahiers du cinéma ;

3- Un modèle sociétal et politique (?)

 

Porté par l'élan révolutionnaire de la période, Gene Roddenberry a introduit dans l'équipage des éléments qui brisent certains dogmes de l'époque : outre Uhura (Nichelle Nichols)(6), il y eut un russe (Pavel Tchékov joué par Walter Koenig puis Anton Yelchin), en plein guerre froide et, pour notre sujet, un asiatique (Hikaru Sulu joué par Georges Takei puis John Cho). Les séries de films ont repris  fidèlement cet équipage... Malgré tout, les héros principaux sont blancs : le capitaine James T. Kirk (William Schatner puis Chris Pine), le docteur McCoy (DeForest Kelley puis Karl Urban) ou Scotty (James Doohan puis Simon Pegg)....

D'autre part le modèle politique est La Fédération des Planètes Unies (FPU), une république fédérale interplanétaire dont les membres (ayant signé une Charte) sont unis par le partage de valeurs communs (justice, liberté, égalité, coopération) et le partage équitable des ressources et des connaissances. La Fédération peut être définie comme une société socialiste utopique dans laquelle les espèces coexistent. En effet la société galactique de Star Trek est caractérisée par une foultitude des « races » extraterrestres, métaphore du Melting Pot qui a construit l'Amérique mais également métaphore du monde. Ces "races" interagissent par la coopération, les tensions et les conflits. Mais des biais existent, bien sûr. Le plus évident est le caractère systématiquement humanoïde des espèces agissantes, mais on trouve aussi, un certain nombre de stéréotypes : par exemple les extraterrestres (souvent hostiles) apparaissent avec des connotations discutables : les Klingons, hostiles et féroces, ont la peau sombre ; les Ferengi ont un look et un appétit pour l'argent qui peut évoquer les pires stéréotypes sur les Juifs...

Mais ces représentations ne sont pas réellement des actes volontaires, elles expriment plutôt la puissance suggestive des stéréotypes véhiculés par la société de l'époque...
 

Conclusion

 

Star Trek exprime, sous toutes ses formes, une Sf optimiste. La série originale est l'expression des courants utopiques et libertaires des années 60-70 ; les séries suivantes gagnent en maturité et les films, surtout depuis les re-boots de JJ Abrams, assurent le grand spectacle... tout en restant fidèles à l'essence même de l'oeuvre de Gene Roddenberry. Bien sûr cette Sf de l'utopie n'est pas exempte de naïveté et de contradictions, à l'image des films de Sf optimiste que nous allons survoler maintenant.

(3) Dans la série originale la Directive Première a été pensé par Gene Roddenberry en référence à l'intervention US au Vietnam.

2- Une épopée anti-impérialiste (?)


La série Star Trek originale, en mettant en images de façon positive l'exploration spatiale, a contribué à nourrir l'imaginaire des Américains au moment où un énorme effort scientifique, technologique et financier était demandé à la nation pour aller sur la Lune (ce qui se fera en 1969). Star Trek a donc aidé à créer un imaginaire pour nourrir l'aventure spatiale américaine, de même que la saga a accompagné et stimulé les ingénieurs et scientifiques des missions d’exploration lunaire. En se calquant sur le modèle de la littérature d'aventure du XIX° siècle (Robinson Crusoé ou L'île au trésor) Star Trek exalte le sentiment excitant de la découverte par le dépassement de soi.

Star Trek parle de l'impérialisme américain pour en prendre bien sûr le contre-pied dans le contexte de la guerre du Vietnam. La FPU se veut le contraire de l'impérialisme US en préchant le respect de la diversité et la non-ingérence dans les affaires des autres peuples. D'une certaine façon, Star Trek offre une vision alternative dans laquelle la grandeur des Etats-Unis se passe de l'interventionnisme.

Mais on peut aussi proposer une autre interprétation. En effet certaines analyses (que je ne partage pas) estiment que Star Trek offre une vision colonialiste de l'univers(5). Leur argument ? Comme lors de la découverte / conquête du monde des XVI° - XIX° siècles on trouve, dans Star Trek, la volonté de classer et hiérarchiser les espèces découvertes à l'aune de leur degré de civilisation... Là encore certains auteurs font un parallèle appuyé non avec l'ONU mais avec la Société des Nations qui, derrière le discours de paix, développait également un discours impérialiste puisque les nations étaient hiérarchisées et certaines, dont le niveau de civilisation était jugé insuffisant, placées sous mandats de nations européennes plus puissantes qui devaient les mener vers la civilisation (le « fardeau de l'homme blanc » selon R. Kipling).

3- La rencontre avec l'Autre


Au cinéma, la rencontre entre humains et aliens peut être classée en 3 catégories.

Dominent les films d'invasion et d'affrontement (La guerre des mondes de Byron Haskin en 1953 puis de Steven Spielberg en 2005) ou Alien le huitième passsager de Ridley Scott en 1979).

Nous avons des films mettant en scène l'incompréhension comme Solaris de Andrei Tarkovski (1972) tiré de l'oeuvre de Stanislas Lem.

Enfin des films optimistes et humanistes, plaidoyers pour une sorte d'élévation du genre humain dans lesquels l'extraterrestre est le révélateur de nos bons cotés. Par exemple, au cœur de la guerre froide, dans un cortège d'E.T. hostiles 2 films en mettent en scène des aliens pacifiques : Klatu dans Le jour où la Terre s’arrêta (Robert Wise, 1951) et les E.T. accidentellement arrivés sur Terre dans Le Météore de la nuit (Jack Arnold, 1953) qui, désireux d'en partir au plus vite, prennent l'apparence des humains, non pour les soumettre mais pour dissimuler leur véritable apparence, trop monstrueuse. Ces 2 films, bien isolés dans leur approche, usent de l'E.T. comme d'un catalyseur de nos mauvais penchants et leur font porter un message humaniste. Mais c'est à Steven Spielberg que nous devons la paternité des E.T. pacifiques, voire sympathiques avec Rencontres du troisième type (1977) et E.T. L'extra-terrestre (1982). Les extraterrestres révélent les bons cotés de l'humanité au travers de scientifiques généreux (et un poil intéressés), de citoyens lambda ou d'enfants au cœur pur. On retrouvera ce thème dans quelques films ultérieurs comme Cocoon (Ron Howard, 1985), Abyss (James Cameron, 1989), Premier contact (Denis Villeneuve, 2016).

Parfois le message véhiculé par les E.T. n'est pas entendu comme dans le film H2G2 (Garth Jennings, 2005, adapté de la série de romans humoristique de Douglas Adams Le Guide du Routard Galactique) dans lequel les humains, pas assez évolués ni assez lucides, qui n'ont pas écouté les dauphins - entité intelligente – sont anéantis car la Terre se trouve sur la trajectoire d’une voie express intersidérale en construction !

(5) Comme par exemple Ahmed Memon dans son article Star Trek’s United Federation of Planets: a far-future League of Nations ?

C) Pourquoi la faiblesse de l'utopie ?


 

L'utopie, dans le cinéma de Sf est donc assez rare... Comment l'expliquer ?

 

1- Un concept discrédité

 

La connotation négative de l'utopie à partir du XIX° siècle et son association aux rèves totalitaires du début du XX° siècle ont durablement discrédité toute entreprise visant à réver d'un monde meilleur car celui-ci sera inéluctablement dévoyé. L'échec des grandes utopies politiques (socialisme ou maoisme par exemple) a transformé le désir d'émancipation collective en une série d'aspirations individuelles. Le XXI° siècle a renforcé ce biais avec l'appropiation de l'utopie par les techno-scientifiques et/ou techno-marchands comme Elon Musk, Larry Page ou Mark Zuckerberg.


 

2- L'utopie est ennuyeuse (?)

 

L'utopie offre peu de possibilités de tension dramatique car, selon un modèle bien éprouvé, le héro intervient quand tout va mal et non quand tout va bien ! Lorsqu'un lieu utopique est présent dans le film, l'action se résume souvent à la visite du lieu par le héro : dans Zardoz (John Boorman, 1974) Zed (Sean Connery) visite la cité des Eternels : cette séquence a tout le potentiel de l'ennui... de ce fait le réalisateur y introduit un stratagème narratif : les Eternels étudient l'esprit de Zed et projettent ses souvenirs sur un grand écran... ce qui permet d'introduire des scènes de violences et de sexe afin de maintenir l'attention du spectateur.


 

3- Un nouveau rapport au temps

 

Selon François Hartog (Régimes d’historicité, présentisme et expériences du temps, Seuil, 2003)  l'instant, l'immédiateté rendent difficile la réflexion à long terme et exacerbe les perceptions pessimistes : le monde est plus inquiétant car plus proche grace aux médias de masse et Internet qui amplifient l'angoisse (ultra libéralisme ravageur ; crise écologique ; pandémie ; terrorisme...) et font le terreau de la dystopie d'alerte.
 

 

4- Utopie collective vs bonheur individuel

 

L'utopie fait référence au bonheur ; or celui-ci n'est pas perçu ou révé de la même façon ce qui peut transformer l'utopie des uns en cauchemar pour d'autres. Par exemple la Sf s'interroge sur le devenir de l'humanité et donc de l'humain : un sujet très clivant : post-humanité ? Augmentation ? Amélioration ? etc. D'autant que la virtualisation grandissante pousse au repli individuel et crée des solidarités d'un genre nouveau, qui sont plus outils de mobilisation que génératrices de projet collectif...

Enfin n'oublions pas que le système hollywoodien fait émerger un ou des héros individuels ce qui se prête mal unx utopies collectives !

 

 

Conclusion

Même si la dystopie est plus « vendeuse », !e cinéma de Sf a toujours porté en lui de l'utopie et c'est fort heureux ! On peut alors se demander si les grandes utopies politiques, sociales et culturelles du XX° siècle ont eu un écho dans la production d'oeuvres de science-fiction cinématographiques ?

II- CINEMA DE SF ET REVES TOTLITALITAIRES


 

Introduction

 

Selon la définition de l'utopie adoptée pour cet article, les régimes totalitaires reposent bien sur un rève utopique. Dans ce cas y eut-il une cinéma de Sf pour illustrer ou accompagner les projets du Grand Reich allemand, de l'Homo Fascii Mussolinien, du collectivisme marxiste ou maoiste, et autres ?

La science-fiction et son cinéma sont perçus de 2 manières par les régimes totalitaires :

  • un moyen de gagner la population au régime en transposant dans le futur les fondements idéologiques du régime (un outil de propagande donc) ;
  • un art dont il faut se méfier car la Sf peut détourner les gens de la pensée dominante en promouvant un imaginaire dangereux pour le régime, entre autre l'idée que d'autres mondes, d'autres peuples existent hors du cadre idéologique prescrit ;

C'est pour cela que la Sf, comme les autres genres artistiques sera encadrée, surveillée voir instrumentalisée pour la mettre au service de l'idéologie et servir l'utopie politique.

 

 

A) Etude de cas : Aelita, quand l'utopie du présent passe sur grand écran
 

 

Introduction

 

En 1924 sort sur les écrans moscovites Aelita, reine de Mars dont on peut dire qu'il s'agit du 1er 'blokbuster' (en terme financier surtout) de Sf de l'histoire (récente) du cinéma. Ce film méconnu (à découvrir en DVD) a la particularité de transposer à l'écran l'utopie socialiste russe, née en 1917 et qui, en 1924 est en pleine construction avec ce que l'on nomme la NEP, Nouvelle Economie Politique, imposée par Lénine (mort en janvier 1924). En quoi ce film peut-il être rangé dans le rayon utopie ?

 

1- Le contexte : la NEP, une utopie socialiste

 

Exangue après les révolutions de 1917 et la guerre civile (1917-1923) la nouvelle URSS (1922) doit, selon Lénine « faire au capitalisme une place limitée pour un temps limité ». La construction du socialisme reste le but ultime mais les moyens d'y parvenir doivent, pour un temps du moins, changer : à dose réduite et encadrée, la propriété privée et le profit sont réintroduits. Ce pragmatisme économique s'accompagne d'une certaine ouverture, à la fois :

  • internationale : le pays renoue avec l'étranger, y compris les Etats-Unis, ce qui, entre autre, fait revenir des exilés russes au pays ;
  • sociétale et culturelle : un vent de liberté souffle en Russie, permettant à de nombreux citoyens de profiter de la NEP pour hausser leur niveau de vie (les fameux Nepmen et les Koulaks) et donnant plus de liberté créatrice aux artistes ;

 

2- Aelita, pur produit du socialisme pragmatique

 

Avant de passer sous la coupe de Staline et du Jdanovisme après 1928, le cinéma soviétique connait des heures fastes puisque selon Lénine, en janvier 1922, « le cinéma est pour nous, de tous les arts, le plus important ». Devenu après la guerre civile un monopole d'état, le cinéma produit des comédies et des films d'aventures mais surtout des films avant-gardistes comme les chefs-d'oeuvres d'Eisenstein (La Grève et Le Cuirassé Potemkine, en 1925 puis Octobre en 1927). Si ces films ont pour fonction de promouvoir la révolution bolchévique et de soutenir les efforts de l'URSS durant la NEP, cette dimension propagandiste laisse malgré tout une assez large liberté aux cinéastes.

Yakov Protazanov (1881-1945), le réalisateur d'Aelita adapte un roman d'Alexei Tolstoï (neveu éloigné de Léon Tolstoï). Ces 2 personnages sont déjà en eux-mêmes un reflet du vent de liberté de la NEP car ils étaient en éxil à l'étranger durant la révolution et la guerre civile (entre 1920 et 1923 pour Protazanov et entre 1917 et 1924 pour Tolstoï) et ont pu, sans problème revenir en URSS et y travailler.

(6) Dans l'épisode Les descendants de 1968 se produisit, entre Uhura et Kirk, le 1er baiser interracial à la télé américaine (il faut préciser qu'ils étaient sous l'influence d'une drogue). De plus le personnage d'Uhura a marqué son époque comme le rapporte Woopie Goldberg qui affirma : « Quand j’avais 9 ans, j’ai vu Star Trek à la TV et j’ai couru dans la maison en criant « Viens voir Maman, il y a une dame noire à la TV et ce n’est pas une servante. » J’ai su à cet instant que je pourrai devenir tout ce que je voulais ».

3- Construire le socialiste

 

Les 2/3 du film se déroulent à Moscou entre 1921 et 1924. Protazanov met ainsi en scène, avec réalisme, la difficile construction du socialisme à cette époque.

Les 2 ingénieurs qui construisent la fusée destinée à se rendre sur Mars ont monté une entreprise à capitaux privés. Ils incarnent les 2 faces, contradictoires de la NEP : Loss (Nikolai Tsereteli) est le socialiste idéaliste convaincu alors que son collègue Spirodonov (également joué par Tsereteli) semble avoir noyé ses principes dans le mirage capitaliste (il finira par quitter le pays). Viktor Ehrlich (Pavel Pol) incarne quant à lui l'ennemi de classe, profiteur du marché noir, séducteur sans scrupule, désireux de renouer avec les mœurs bourgeoise pré-révolution.

3 autres personnages semblent incarner la Russie de la Nep, mélange de pragmatisme et d'utopie :

  • un duo assez classique au cinéma lorsqu'il est question de métaphoriser les valeurs à la fois nationales et universelles : le soldat (Goussev - Nikolai Batalov – blessé mais volontaire pour le voyage vers Mars) et l'infirmière dévouée (Macha - Vera Orlova –) destinés à se marier ;
  • Natacha (Valentina Kuindji), la femme de Loss, responsable d’un Centre d’Accueil de réfugiés puis directrice d’une institution pour nourrissons et jeunes enfants, incarne certainement la Russie de la Nep, courageuse et réaliste ;

La construction du socialisme passe par le progrès scientifique, technique et industriel (que Lénine a résumé en 1919, au 8° congrés : « Le communisme, c'est les Soviets plus l'électricité ») et dans le film c'est montré par l'omniprésence des machines et de l'énergie (surtout sur Mars) et de la science (la fusée de Loss ou le télescope cinématographique martien de l’ingénieur Gor (Iouri Zavadski).

Enfin lorsqu'Aelita (Ioulia Solntseva) observe la terre grâce au télescope de Gor un kaéleidoscope d'images de la dynamique Russie lui apparaît : rues éclairées, foules affairées et tramways pour Moscou ; canons de navires de guerre et grands chantiers ; immensité des steppes russes parcourues par des cavaliers...

(7) 1er satellite artificiel, Spoutnik I, en octobre 1957 ; 1er humain dans l’espace, Youri Gagarine, en avril 1961.

De gauche à droite : Ivan Illitch Oulianov dit Lénine - Yakov Protazanov - Alexis Tolstoï (source : Wikipedia)

C) URSS et Sf


 

Après la NEP, définitivement enterrée en 1928, le cinéma de Sf soviétique ne disparaît pas, bien au contraire, il va accompagner la construction du socialisme et les avancées spatiales(7). La Sf doit être pédagogique et s'adresse avant tout aux jeunes générations. Prenons, parmi l'abondante filmographie, 2 films :

 

  • Le voyage cosmique

Ce film de Vassili Zouravlev (1936) est une réponse à un appel lancé par le gouvernement soviétique, au travers de l'organisation des Jeunesses Communistes, à réaliser des films pour illustrer la vie en URSS dans les années futures. Le film correspond parfaitement au critère du réalisme soviétique, « réaliste dans sa forme mais socialiste dans son contenu » ; d'ailleurs le réalisateur a collaboré très étroitement avec le scientifique Constantin Tsiolkovski, l'un des pères de la physique spatiale russe et au goût du public (gros succès populaire). Mais la censure ne l'épargnera pas comme en témoigne l'article du critique Palev dans la revue Kino en janvier 1935 :

:

« Notre cinéma de science-fiction s'adresse pour l'instant, on ne sait pourquoi, seulement aux enfants. Il leur est incontestablement utile et indispensable, mais il ne faut pas oublier le spectateur adulte. En effet Wells, Joulavski, Lasovits, Robida et bien d'autres auteurs de romans de science-fiction s'adressaient seulement à un lecteur adulte. Il ne faudrait pas pourtant, en travaillant pour les enfants, baisser la qualité d'un film et l'appauvrir. La qualité artistique d'un film de science-fiction soviétique doit être élevée ne serait-ce que parce que, en dessinant les réalisations du futur, nous ne pouvons nous les représenter séparément des gens dont les mains construisent ce futur lumineux. La station hydro-électrique de l'Angara, les terres fertiles à la place des déserts, la conquête des planètes – tout cela est fait par les hommes et pour les hommes, et l'être humain doit avoir le rôle principal dans un film qui représente de telles réalisations. L'homme ne doit pas être un simple composant de la fable, un complément aux paysages. Cette position, devenue depuis longtemps un axiome pour tous ceux qui travaillent dans la création, ne tolère aucune exception quel que soit le genre de cette création. C'est seulement en respectant cette exigence catégorique que seront créés des films de science-fiction à part entière au niveau de l'art du réalisme socialiste »

 

  • Nebo Zovyot

En 1959 sort Nebo Zovyot (L'appel du ciel) d'Alexandre Kozyr et Mikhaïl Karioukov sur le thème du voyage vers Mars(8). Il porte en lui l'idéologie de l'époque avec un affrontement manichéen entre une équipe soviétique incarnée par les 3 héros positifs du vaisseau Rodina (« Patrie » : Kornev - Ivan Pereverzev ; Somov - Valentin Cherniak - ; Gordienko - Alexandre Chvorine -) face à l'équipe du vaisseau Tayfun que tout, dans le film, désigne comme américaine, et ses 2 personnages négatifs (Verst - Gurgen Tonunts - et Klark - Constantine Bartachevich -). Le film met littéralement en scène l'idéologie soviétique :

  • rigueur et rationnalité scientifiques sont si importants que le film est presque un documentaire(9) ;
  • l'appel à la jeunesse, clef des régimes totalitaire, est, explicite (par exemple sous la forme d'un regard caméra à la fin du film) ;
  • Kornev, Somov et Gordienko incarnent les hommes soviétiques nouveaux tels que le régime socialiste soviétique l'imaginait : travail, dévouement, solidarité, altruisme, etc.


 

Ces 2 films font de la conquète spatiale une métaphore de la construction du socialisme en cours en URSS. Le réalisme technologique se met au service de l'utopie et s'incarne dans l'une des figures les plus populaires de l'utopie communiste, l'ingénieur.

Le réalisateur Pavel Klushantsev (1910-1999) incarne tout à fait cet état d'esprit, alliant vulgarisation scientifique et fierté socialiste, par ses films de Sf comme La route vers les étoiles (1957) et La planête des tempètes (1962) dont les dates de sortie coïncident avec 2 avancées majeures de la conquète spatiale russe, Spoutnik et Gagarine. Il a aussi réalisé des films-documentaires comme La Lune (1965) et Mars (1968).

 

Mais le cinéma de Sf du temps de l'URSS n'a pas toujours une dimension politique mettant en scène l'utopie communiste. Des films de divertissement pur ont vu le jour comme Ivan Vassilievitch change de profession (Leonid Gaïdaï, 1973) variation comique sur le voyage dans le temps ou Le Tarzan des mers (Vladimir Tchebotariov, 1962) qui a inspiré Guillermo Del Toro pour La forme de l'eau (2017). Signalons aussi Kin-dza-dza ! de Gueorgui Danielia (1986) une « étonnate satire de tout régime autoritaire » (fiche Wikipedia) à l'humour loufoque. Ce film met en scène la planète Plouc sorte de dystopie du monde communiste finissant (rappelons que Mikhaïl Gorbatchev a lancé la Pérestroïka et la Glasnost 1 an plus tôt).

C) Allemagne nazie et RDA

 

1- En Allemagne nazie

 

Les productions littéraire et cinématographique sont controlées et censurées dans l'Allemagne Nazie (1933 – 1945) ce qui en appauvrira considérablement la qualité(10). En matière de Sf seule la littérature produit encore, au travers d'auteurs comme Hans Dominik ou P.A. Müller. Le cinéma de Sf est insignifiant (voir sur la Wikipedia)


 

2- En RDA

 

Après la rupture définitive en 1949 l'Allemagne est désomais séparée par le rideau de fer. A l'est la République Démocratique d'Allemagne met en œuvre l'utopie socialiste. Le cinéma est entre les mains d'un studio public, la DEFA, qui produira quelques films de Sf dans les années 60-70. Ces films ne sont pas de la pure propagande politique mais contiennent tous, sous des formes diverses (dans les péripéties, dans le décor, au fil des dialogues...), des messages articulés sur les valeurs défendues idéologiquement par le bloc socialiste, et parmi celles-ci on relèvera surtout les notions de coopération et de pacifisme(11). 2 films parmi eux :

  • Eolomea de Hermann Zschoche (1972) est un film profondément optimiste sur un futur et défend une conception de la liberté tout aussi éloignée du matérialisme occidentale que du collectivisme socialiste.
  • L'étoile du silence de Kurt Maetzig (1972, adaptation d'un roman de Stanislas Lem) dans lequel une équipe russo-germano-sino-americano-africaine (sic!) affronte une menace nucléaire (qui n'est pas sans rappeler Hiroshima... et pan sur le bec des américains) et rapporte un message pacifiste.

(8) Le film (entier) est sur Youtube (russe ST anglais)

D) Chine et cinéma de Sf


1- Un genre littéraire bien connu, un cinéma récent

 

La science-fiction a toujours été présente en Chine, essentiellement dans la littérature. Le cinéma de Sf n'existe que depuis une période récente : sous Mao le cinéma (de Sf ou non) n'existe quasiment pas. La production se concentre hors de la République Populaire, à Hong-Kong surtout, foyer des films d'arts martiaux.

La Sf reste marginalisée sous Deng XiaoPing... mais l'ouverture de la Chine à la Sf occidentale et les succés récents, littéraires (Liu Cixin et sa trilogie du Problème à trois corps a reçu en 2015 le prestigeux prix Hugo) et cinématographiques (The wanderind Earth de Frant Guo en 2019 a explosé le box-office chinois), ont poussé le régime de Xi Jingping a s'intéresser à la Sf et à publier un document de recommandations pour la Sf chinoise(12). La Sf chinoise et son cinéma deviennent ainsi des éléments du Soft power de ce pays avec surtout une mission de diffusion de son élan technologique. Ainsi en 2016 le vice-président de la RPC estimait devant l'Association de science et de technologie que les auteurs de Sf « doivent assumer la mission primordiale de leur temps: élever le niveau d'instruction scientifique des citoyens et participer à l'édification d'un pays scientifiquement et technologiquement puissant » (cité par Léa Polvérini : voir bibliographie). Est-ce à dire que la Sf et les films de Sf sont surveillés et censurés, comme au bon vieux temps ? Non, mais la dénonciation politique n'est pas dans l'ADN de la Sf chinoise.

 

2- The Wandering Earth

 

En 2019 Frant Guo réalise The Wandering Earth, d'après la nouvelle éponyme de Liu Cixin (2000). Ce film fait un carton en Chine et il devient un produit d'exportation avec une diffusion mondiale sur Netflix. Ce film contient tous les codes du blockbuster... avec une spécificité chinoise qui en fait un instrument de diffusion du soft power chinois. En quoi ? On peut faire émerger 3 éléments :

  • à la différence des budgets colossaux des productions américaines le film n'aura couté 'que' 50 millions de dollars car le poste 'rétribution des stars' est très réduit ;
  • les effets spéciaux, réalisés par des sociétés chinoises, de très haute tenue, en font un miroir efficace de la technologie chinoise ;
  • enfin l'exaltation des valeurs nationales existent tout autant que dans les films américains... mais avec une certaine sensibilité 'chinoise' : par exemple, plus que les vertues individuelles, ce sont les valeurs collectives qui sont avancées ;

Mais notre analyse peut être biaisée car il s'agit du 1er film de Sf chinois à dépasser les frontières du pays... effets de surprise et d'étrangeté doivent jouer.

 

 

Conclusion

 

La Sf, ses auteurs et ses cinéastes furent mis à contribution par les régimes totalitaires pour donner à voir l'avenir radieux promis par l'idéologie dominante. Dans les pays autoritaires d'aujourd'hui elle n'a pas de fonction de propagande bien marquée : elle peut servir la puissance mais aussi et surtout elle assume, comme une grande part de la Sf produite dans les pays démocratiques, une fonction d'alerte en utilisant l'arme de la dystopie... mais même derrière cette Sf sombre et alarmiste, en cresuant un peu, on trouvera des visions utopiques de notre futur.

(9) Le réalisme soviétique est imposé sous Staline dès 1934.

III) Chercher l'utopie dans la dystopie

 

Introduction

 

Même si la dystopie domine largement le cinéma de Sf, il est assez rare de ne pas trouver des traces d'utopie dans ces films. Des exceptions existent bien sûr, comme La Route (John Hillcoat, 2009, tiré du roman de Cormac McCarthy) film sombrissime du no-futur. Alors cherchons l'utopie nichée dans les films de Sf les plus sombres et alarmistes.

 

(10) Parexemple 2 figures importantes de la Sf et du cinéma fuieront l'Allemagne nazie, Curt Siodmak et Fritz Lang.

I- LA FAIBLESSE DU CINEMA UTOPIQUE DE SF


 

Introduction

 

La polysémie du mot rend difficile l'étiquetage de tel ou tel film comme relevant de l'utopie. Si l'essentiel du XX° siècle, marqué par les horreurs de la guerre et des totalitarismes, engendre une Sf sombre mettant en scène des dystopies politiques, sociales et/ou environnementale, les rèves d'utopie ont toujours existé. Nous allons tenter un petit tour d'horizon de ce cinéma de Sf de l'utopie.


 

A) Etude de cas : Star Trek du hopepunk avant l'heure ?


 

« Espace, frontière de l'infini, vers laquelle voyage notre vaisseau spatial l'Enterprise. Sa mission de cinq ans: explorer de nouveaux mondes étranges, découvrir de nouvelles vies, d'autres civilisations et au mépris du danger, avancer vers l'inconnu ». Le 8 septembre 1966, le premier des 79 épisodes de Star Trek est diffusé sur NBC.... 17 août 2016 sort sur les écrans français Star Trek : sans limites (JJ Abrams), le treizième film de la série. Star Trek c'est, d'une certaine façon, l'héritage de Jules Verne, tourné vers l'anticipation(1). Si Star Trek s'ancre dans les rèves et espoirs des années 60-70, les séries suivantes et les films poursuivent cette exploration de l'utopie en conservant l'univers de la série originale. Trois éléments, au moins, permettent ce qualificatif d'utopie (en savoir plus en se reportant à l'article Colonisation et Empires sur ce site) tout en sachant que pour chacun d'eux des réserves et des critiques peuvent être énoncés.

Klingons à la peau sombre et Ferengis au look... disons... discutable.

2- L'utopie spatiale

 

Les premiers films de Sf portent sur l'exploration spatiale proche, la Lune puis Mars voire Jupiter. Ils reposent sur un imaginaire positif empli de magie et d'émerveillement quasi juvénil. Citons :

 

  • La lune à un mètre ou Le Rêve de l'astronome de Georges Méliès (1898) ;
  • Le voyage dans la lune du même Georges Mélies (1902) ;
  • Viaje a Jupiter de Segundo De Chomon (1909) ;
  • Voyage autour une étoile de Gaston Velle (1906) ;
  • A 14 millions de lieues de la Terre de Holger Madsen (1918) ;
  • Une femme dans la Lune de Fritz Lang (1928) ;
  • Les premiers hommes dans la Lune de Bruce Gordon et J.L.V. Leigh (d'après H. G. Wells) en 1929 ;

(11) Rappelons, par exemple, que le mouvement communiste avait fait une sorte d'OPA sur le pacifisme avec le Conseil Mondial de la Paix ou l'organisation des grands rassemblements contre les guerres coloniales ou la guerre au Vietnam

Un peu d'histoire

 

 

Le terme utopie (du grec utopia, "non-lieu") du XVI° au XIX° siècle, après avoir désigné un lieu (en l'occurence une île) sous la plume de Thomas More (inspiré de Platon), désigne un mode de de gouvernance idéale et relève de la littérature politique qui critique l'ordre existant et exprime une volonté de le réformer. Dès le milieu du XIX° siècle un glissement sémantique s'opère : utopie désigne, de façon le plus souvent critique, un projet irréaliste et relève alors plutôt de la philosophie de l'Histoire (les Utopies sociales d'Owen, Cabet, Fourier, et les luttes populaires de la Commune de Paris ou du Front Populaire...). Les totalitarisme de la 1ère moitié du XX° siècle vont durablement dévoyer le sens du mot et les vocables d'anti-utopie, contre-utopie ou dystopie se développent pour désigner le fourvoiement inéluctable de toute utopie.

(4) Ainsi dans l'épisode Rédemption de Star Trek The Next-Génération (1991) le capitaine Jean-Luc Picard défend l'idée d'une intervention militaire de la FPU dans une guerre civile au sein de l'empire Klingon au prétexte qu'une des parties est aidée par les Romulians, ce qui déséquilibre la situation et met la FPU en danger.

Dans les années 50 ce sont des voyages spaciaux angoissants qui dominent dans les séries B américaines avec monstres et menaces cosmiques en tout genre. L'adaptation des romans de Jules Verne, De la Terre à la Lune et Autour de la Lune, par Byron Haskins (1958) sera baclée par des coupes budgétaires importantes qui en dénaturent la réalisation. Mais l'utopie spatiale nourrit littérature et cinéma de Sf : ainsi l'homme marche sur la Lune dès 1950 dans le film produit par Georges Pal Destination… Lune ! d’Irving Pichel. Ce film du temps de la guerre froide est de la propagande pour l’exploration spatiale et la future NASA (créée en 1958) afin de la rendre populaire auprès des spectateurs américains. En 1968, Stanley Kubrick et Arthur C. Clarke donnent leur vision à la fois philosophique, poétique et réaliste de l'aventure spatiale dans 2001 : l'Odyssée de l'espace avec une station orbitale et une base lunaire, Clavius. Après un creux dans les années 70-90 l'imaginaire spatial revient en force et en réalisme avec les récents Seul sur Mars (Ridley Scott, 2015), Gravity (Alfonso Cuaron, 2013) ou Interstellar (Christopher Nolan, 2014). Seul sur Mars (Ridley Scott, 2015) est un hymne à l'humanité au travers du personnage de Mark Watney (Matt Damon) mais aussi au travers des efforts gigantesques pour le sauver menés par la NASA et bien au delà, par l'humanité entière au travers, par exemple, de la collaboration de l'Agence Spatiale chinoise.

 

La lune à un mètre ou Le Rêve de l'astronome de Georges Méliès (1898)

Voyage autour d'une étoile de Gaston Velle (1906)

Conclusion

 

Aelita est un film résolument socialisme : la construction de l'utopie future passe par la libération de l'homme grace à la science et au progrès technique. Cette constante se retrouvera dans la plupart des films de Sf soviétiques.

4- La contre-utopie : Mars

 

On le sait, l'utopie et la contre-utopie fonctionnent de façon dialectique. Dans le film c'est Mars qui représente la contre-utopie. La planète est sous la coupe d'un régime totalitaire et sa société est ségréguée entre une élite (la caste des Anciens soutenus et défendus par les Gardiens et les Militaires) et des masses laborieuses, véritable prolétariat réduit en servitude. La métaphore est simple à comprendre... mais la suite rend les choses plus compliquées.

En effet, Loss et ses 2 compagnons arrivent sur Mars et y fomentent la révolution prolétarienne, avec l'appui de la reine Aelita... qui, en fait, ne souhaite qu'imposer un pouvoir personnel ! Finalement par ce que l'on apellerait aujourd'hui un twist, Loss se rend compte qu'il a révé tout cela et que ses visions de Mars n'étaient que chimères. On peut y percevoir une double métaphore :

  • l'une pourrait annoncer Staline le tyran rouge, fossoyeur de la NEP ;
  • l'autre semble épouser les principes de l'utopie de la NEP : soyons réalistes et pragmatiques et méfions nous des rèves et des chimères. Ainsi, en brulant les plans de la fusée Loss écarte le rève et déclare qu'il va travailler à la construction de l'idéal socialiste.

Aelita, bande-annonce (en)

La cité martienne

Moscou vue au travers du télescope de Gor

Eolomea, le début (eng)

(11) On peut estimer à 2% de la population les consommateurs rguliers de Sf... ramené à la population du pays cela représente près de 80 millions de personnes !

A) Etude de cas : le clonage, un modèle d'utopie ?

 

Introduction

 

La Sf est friande d'histoire de clonage (voir les filmographie sur Senscritique ou sur Cinétrafic). Nous allons, au travers de 2 films examiner le clonage comme une utopie contenant sa propre contre-utopie car la technique du clonage y est présentée comme une amélioration du bien-être (le handicap ou de la maladie), donc une vision incontestablement positive, mais qui porte aussi une vision très discutable autour de l'amélioration de l'humain dans un idéal de perfection et de recherche d'une sécurité absolue.

 

 

1- Les films

 

Clones de Jonathan Mostow (2009) tiré du comic The Surrogates de Robert Venditti et Brett Weldele (à ce propos la traduction du titre original Surrogates par Clones est bien mal venue ! Il n'y a pas, à propremenr parlé de clones dans ce film). Dans un futur indéterminé les gens vivent au travers de leur robot de substitution (clones) ce qui les protège des désagréments de la vie. Une série de meurtres affectent aussi bien des clones que leurs propriétaires. L'enquête menée par Tom Greer (Bruce Willis) va révéler une conspiration...

The Island de Michael Bay (2005) : en 2019, Lincoln 6-Echo (Ewan McGregor) et Jordan 2-Delta (Scarlett Johansson) vivent dans une ville souterraine aseptisée mais sûre car l'extérieur a été ravagé et contaminé. Une loterie permet aux heureux chanceux de quitter cette cirté pour une île paradisiaque, unique lieu vivable et idylique du monde extérieur. En réalité les habitants de cette cité sont des clones dont les organes permettent aux (riches) humains 'originaux' d'être soignés et 'réparés' en cas de besoin.

Ne nous y trompons pas, ces 2 films sont des dystopies... mais leur intérêt réside dans le fait que le clonage y est présenté comme une technologie qui modèle la société du futur, bien plus donc qu'un simple artifice narratif.

 

1- Le clonage, utopie transhumaniste

 

Chacun des films propose une approche technologique différente. Dans Clones c'est le robot de synthèse piloté par la pensée. Actuellement les recherches dans cette direction sont encore balbutiantes mais elles avancent : ainsi en 2014 le coup d'envoi du match d'ouverture de la coupe du monde fut donné par un paraplégique revétu d'un exosquelette. Dans The Island c'est le clonage génétique d'humain dont il est question. Actuellement la science travaille sur les cellules souches ; le clonage thérapeutique est très encadré par la loi tandis que le clonage reproductif est, la plupart du temps, interdit dans le monde.

Il n'empèche que le clonage (génétique ou par robot de substitution) a de quoi faire réver, et c'est là sa dimension utopique. Les docteurs Canter (James Cromwell) de Clones et Merrick (Sean Bean) de The Island, les promoteurs des technologies en question, avancent 2 arguments clef qui sont également utilisés par les défenseurs de ces technologies :

  • le traitement du handicap ou de la maladie : dans Clones tout ce qui atteint la mobilité humaine est pointé pour justifier le robot de subsitution ; dans The Island les clones fonctionnent comme une banque d'organes. C'est certainement l'argument capital car il renvoie à toute l'histoire du génie humain : repousser la durée de la vie et assurer la bonne santé ;
  • la quête de sécurité : soit face à la maladie et la mort soit face à l'accident ou l'agression. Dans Clones il est dit que la criminalité n'a cessé de chuter. C'est l'utopie, en marche aujourd'hui, de la sur-sécurité et du refus du risque ;

Mais on peut également avancer un autre argument que les sociétés du futur acceptent voire revendiquent dans ces 2 films, la quête de la perfection sous la forme de la jeunesse quasi éternelle ou de la perfection physique. Dans son analyse de Clones, Daniela Cerqui estime que le gap entre la simple crème anti-rides et la chirurgie esthétique contemporaine est comparable à celui qui existe entre cette chirurgie esthétique et le futur clone de substitution. On voit dans une scène de Clones une belle blonde pilotée par un homme obèse, ou un noir bodybuildé piloté par un vieil homme blanc dépenaillé...

 

3- La contre-utopie

 

Bien sûr l'argument commun a ces 2 films est la prise de conscience des dérives et des dangers de ces technologies et la lutte contre le modèle proposé. Dans The Island le moteur de la lutte c'est la prise de conscience (pas simplement des 2 clones en fuite mais aussi celle de leur traqueur, Albert laurent - Djimon Hounssou -) ; dans Clones outre la prise de conscience du policier, le moteur de la lutte ce sont les Réfractaires qui vivent dans des réserves urbaines refusant les clones. On peut alors s'amuser à dessiner le projet utopique au travers de cette dénonciation. A l'opposé des sociétés décrites dans les films on aurait 4 pistes pour une utopie du futur :

  • rien de bon ne vient des grandes sociétés ultra-capitalistes, souvent monopolistiques, qui ont développé ces technologies, Merrick Biotech de The Island ou la VSI de Clones ;
  • une grande méfiance doit prévaloir vis à vis de la science et de ses emballements ;
  • rien ne vaut la vraie vie face aux vies déléguées et/ou virtuelles et/ou factices. Les artifices de mise en scène contribuent à chaque fois à rendre inquiétant, de manière sous-jacente, les sociétés décrites : dans The Island la ville des clones est aseptisée et les habitants sont des benets  uniformisés ; dans Clones les robots de substitution sont lisses et tellement peu expressifs... D'une certaine façon ils symbolisent les avatars et les identités de substitution qui ont envahi le Net aujourd'hui !
  • le progrès ne peut pas être réservé aux plus riches : dans The Island avoir son clone est très couteux et donc réservé aux plus aisés (Tom Lincoln – Ewan MccGregor – est une caricature du golden boy)

 

 

Conclusion

 

Ces 2 films pour dystopiques qu'ils soient offrent, en creux et en pleins, 2 visions utopiques du futur :

  • en plein ils illustrent l'utopie transhumaniste portée par les technoscientifiques actuels et leur foi inébranlable dans les bienfaits, pour l'humanité, de la science et de la technologie ;
  • en creux ils nous disent ce que ne doit pas être la société utopique du futur : inégalitaire, ultra-capitaliste, aseptisée...

B) Les caratères utopiques des sociétés du futur

 

Derrière les dystopies des films de Sf se dissimule l'utopie selon un schéma narratif bien rodé :

  1. étape n°1 : la description d'un monde futur ayant, semble-t-il, atteint une forme de perfection. Cette dernière repose le plus souvent sur une/des avancées scientifiques et/ou technologiques ou bien sur un mode de fonctionnement sociétale « parfait » ;
  2. étape n°2 : le dérèglement ou la prise de conscience. En général c'est un individu atteint soit dans sa chair (passion amoureuse ou exclusion forcée) soit dans sa pensée (doutes, réflexion, etc.) qui, le plus souvent, sera contraint de lutter contre le « système » et en révèlera la part d'ombre ;
  3. étape n°3 : la correction ou la destruction du modèle initial. Cette étape est souvent laissée hors du film ; elle est suggérée ou esquissée comme une nouvelle forme d'utopie...

Si on analyse le modèle initial et le modèle révé par le ou les héros nous pouvons retrouver quelques caractères utopiques.

 

1- Détermination des espaces et des temps

 

Rarement l'action du film se déroule dans des lieux indéterminés (rappelons que pourtant, éthymologiquement, l' « u-topia » signifie le « non-lieu ») mais plutôt dans des espaces identifiés : le système solaire, la Terre, les Etats-Unis, telle ou telle Mégapole de ce pays, etc. De même le temps est défini, le plus souvent avec une année précisément identifiée. Prenons l'exemple de Star Trek : l'action des films se placent entre 2250 et 2300 ; la Fédération des Planètes Unies fut fondée en 2161 à San Francisco (rappel : la Charte de l'ONU fut signée le 26 juin 1945... à San Francisco) ; etc.

Il existe, bien sûr, des exceptions : le cyberespace (Tron Matrix...) ou des lieux et époques inconnus (le film Cube de Vincenzo Natali sorti 1997 par exemple). Parfois le flou est savament entretenu comme pour la saga Star Wars : « dans une Galaxie lointaine [..] il y a très longtemps […] ».

2- La recherche du bonheur

 

La société décrite au début du film repose le plus souvent sur une/des technologies destinées à assurer le bonheur de l'humanité. Certes cette représentation est posée comme inquiétante dès le début et s'accompagne de nombreux stéréotypes destinés à introduire le doute sur sa perfection, en particulier par la mise en scène d'une certaine uniformisation : rappelons-nous la société des clones de The Island avec vètements-uniformes, identification impersonnelles, etc. Si le propos du film est ou sera dystopique cette représentation est accentuée encore par les loisirs (voyeurisme, violence...), les décors (métropoles surpeuplées) ou l'environnement (souvent le monde est coupé de son extérieur après une catastrophe...). Il y a là tous les codes des sociétés totalitaires...

Mais fondamentalement cette société aura trouver le bonheur, le plus souvent grace à un  inventeur/entrepreneur. Ainsi dans le film de Wally Pfister (2014), Transcendance (analysé par Yannick Rumpala) le docteur Will Carter (Johnny Depp) dont la conscience a été transférée dans un ordinateur quantique veut nettoyer la planète de sa pollution et éradiquer la maladie et la mort. Cette utopie techno-messianiste est ambivalente car l'entité Carter dispose d'un pouvoir menaçant l'espèce humaine.

 

Cette quête du bonheur dans ces utopiques mondes futurs tourne autour de 3 idées généreuses... du moins en théorie :

  • vaincre le handicap, la maladie, voire la mort : c'est certainement le thème le plus filmé avec quelques films puissants dont Bienvenue à Gattaca (Andrew Niccol, 1998) ;
  • vivre en toute sécurité : ainsi dans Minority report (Steven Spielbeeg, 2002) la société Précrime empêche que des crimes soit commis avant qu'ils ne le soient effectivement ;
  • vivre une vie confortable : ainsi c'est grace aux robots que les habitants du Washington de 2035, dans I, Robot (Alex Proyas, 2004), vivent aussi bien ;

3- Trouver / retrouver son humanité

 

A bien y regarder la volonté dominante des héros qui luttent contre la fausse utopie des sociétés idéales semble le retour à l'humanité, au sens quasi animal du terme. Dès lors à l'utopie quasi totalitaire du modèle dominant on oppose une forme de retour à l'état de nature qui s'exprime par :

  • les sentiments : dans le modèle sociétal utopico-totalitaire les sentiments humains sont gommés, aseptisés et la libération se fait en exprimant ouvertement les sentiments, les passions, bref les défauts et faiblesses de l'être humain. Dans Clones le policier Greer (Bruce Willis) n'aspire qu'à retrouver la « vraie » Maggie (Rosamund Pike) sa femme, vieillie et abimée par la vie et non le clone lisse et figé qui traverse le film ;
  • l'acceptation de l'imperfection individuelle ou collective : Jerome Eugene Morrow (Ethan Hawk) l'être imparfait dans Bienvenue à Gattaca (Andew Niccol, 1997) finira par s'élancer vers les étoiles. Dans Demolition Man (Marco Brambilla, 1993), les policiers de la mégalopole de San Angeles, en 2032, sont des sortes de baba-cools new-Age, pacifistes et naïfs qui vont être confrontés à une violence inédite, autant celle de Simon Phoenix (Wesley Snippes) que celle de John Spartan (Silvester Stallone) ;
  • la redécouverte de la primitivité : c'est ce qu'éprouvera Georges Taylor (Charlton Heston) dans La planète des singes (Franklin Shaffner, 1967). C'est aussi ce qu'incarne Zed (Sean Connery) aux yeux des Eternels dans Zardoz (John Boorman, 1974) ;

 

L'utopie ultime peut être tout simplement d'intégrer la communauté des humains comme David (Haley Joël Osmont) l'androïde d'Intelligence Artificielle (Steven Spileberg, 2001) ou encore Andrew Martin (Robin Williams), le robot de L'homme bicentennaire (Chris Colombus, 2000).

 

Mais cette quête d'humanité aboutit parfois à promouvoir une autre utopie, relativement inquiétante, celle du nouveau départ, de la remise à zéro par le rejet de toute modernité : une utopie proche des visions survivalistes.

C) Réhabiliter l'utopie

 

 

1- La réhabilitation de l'utopie en Sf

 

Rappelons qu'une fonction clef de la science-fiction est non pas de prédire le futur, mais plutôt de l'anticiper en proposant des alternatives (politiques, sociales, écologiques, économiques, morales, etc.) et en expérimentant des scénarii. Or la dystopie au cinéma est si prégnante qu'elle renforce le pessimisme et crée une culture de la résignation (c'est la dérive principale de l'heuristique de la peur cher à Hans Jonas). Il est nécessaire d'offrir des voies alternatives aux 2 imaginaires dominants : la pensée techno-scientifique (dont l'expression la plus extrème pourrait être le transhumanisme) et la pensée de l’effondrement (collapsologie). Il paraît nécessaire de proposer 'autre chose' sous 2 approches :

  • élargir le champs des possibles, en particulier sur le thème de la crise climatique et du développement durable ;
  • réfléchir au cheminement (la transition) pour arriver à un futur commun et coopératif et non fracturé et séparatiste... or actuellement cette transition se résume, au cinéma, à une rupture apocalyptique ;

2- Pour une utopie critique

 

Si la dystopie domine quasiment sans partage depuis les années 80, des visions d'utopies ctitiques ont constament subsisté et on constate même un désir d'utopie assez récent. 2 mouvements ont émergé :

  • le Solarpunk est « un mouvement qui encourage une vision optimiste de l'avenir à la lumière des préoccupations environnementales actuelles, telles que le changement climatique et la pollution1 ainsi que des inégalités sociales » (source : fiche Wikipedia). Au cinéma il a pu s'incarner dans les films des studios Ghibli (comme Nausicaä de la vallée du vent de Hayao Miyazaki en 1982) ; on a pu aussi en voir une expression dans le royaume imaginaire du Wakanda dans Black Panther de Ryan Coogler en 2018, en effet on trouve dans cette utopie une cohabitation des technologies les plus avancées avec les organisations tribales les plus traditionnelles et un respect total de l'environnement ;
  • le hopepunk (terme créé en 2017 par l’autrice américaine Alexandra Rowland) désigne des récits dans un futur réaliste dans lequel les protagonistes entretiennent l'espoir, le plus souvent en luttant pour que le présent déprimant deviennent un avenir meilleur. Le hopepunk se niche donc au cœur de films se déroulant dans des futurs sombres, souvent violent, avec un/des personnages fondamentalement bons luttant pour des causes justes. Un bel exemple pourrait être Mad Max fury road (Georges Miller, 2015) dans lequel Max (Tom Hardy) et Furiosa (Charlize Théron) portent des valeurs positives autour du féminisme, de la justice sociale et de l'antifascisme.

Catherine Dufour a déclaré au Monde : « La science-fiction avait pour fonction d’alfonction d’alerter les époques fascinées par le progrès. Maintenant que tout le monde a très peur, elle doit prendre le contre-pied ». En France des initiatives sont prises pour réhabiliter une Sf d'utopie critique comme, par exemple, le mouvement Bright Miror pour un « futur désirable » (en savoir plus) ou le 

collectif Zanzibar dont le « minifeste » (sic !) déclare : « Malgré les outils de prospectives et les cabinets de futurologie des grands entreprises, malgré l’omniprésence du discours voulant que demain soit pareil à aujourd’hui, à hier, ou ne soit tout simplement pas, nous restons convaincus que nos avenirs – communs et individuels – nous appartiennent, et que nous avons le pouvoir de les imaginer, de jouer avec, de les expérimenter et les construire à notre guise. Nous sommes un collectif d’auteurs de science-fiction. Nous rêvons nos textes comme des endroits où se rencontrer, où penser et commencer à désincarcérer le futur ».

Conclusion générale

 

Comme l'écrit André Ruaud dans l'éditorial du numéro 133 de la revue Yellow Submarine (2008) consacrée aux Envies d'utopie : « Cette année est pour nous celle des « écotopies », des fictions se projetant dans des sociétés alternatives, pacifistes et écologistes ! ». Si cette prophétie peut se vérifier en littérature, au cinéma on est encore loin du compte ». En effet le cinéma de Sf a, depuis des décennies, un mal fou à proposer des films résolument utopiques. Mais cette assertion doit être nuancée car, et nous l'avons vu dans cet article, l'utopie se niche soit au coeur de la dystopie, soit dans les films à grand spectacle... encore faut-il la voir !?

 

Ce qui manque au cinéma de Sf actuel est de proposer des films dans lequel le futur serait véritablement désirable et, surtout, le moyen de l'atteindre serait montré sans effondrement ni apocalypse. Bon, dit comme cela un tel film risquerait de ne pas cartonner au box-office... mais gardons un espoir... résolument utopique ?